Après 40 ans de carrière, Chrystine Brouillet souffre encore du syndrome de l’imposteur

Michèle Lemieux

2022-10-22T13:00:00Z

Chrystine Brouillet célèbre 40 ans de carrière. Pour marquer le coup, elle nous présente Une de moins, un polar qui met en scène Maud Graham. Par ailleurs, la célèbre écrivaine, qui s’était installée à Paris de 1985 à 1998, nous confie qu’elle conserve d’heureux souvenirs de cette parenthèse française. Une période formatrice à laquelle elle a mis fin pour retrouver famille et amis au Québec.

Chrystine, vous nous présentez votre 20e roman avec Maud Graham. Quel est le sujet de cette nouvelle histoire?

Claire, qui a des problèmes avec un conjoint violent, le laisse pour s'installer à Québec. Elle quitte Montréal pour fuir Hugo... mais elle ignore qu'il déménage lui aussi. De plus, sans s’en douter, elle travaille avec un homme déséquilibré. Elle est donc prise entre ces deux hommes dont elle ne se doute pas à quel point ils peuvent être dangereux. Il y aura un drame, et c’est MaudGraham qui enquêtera. C’est une histoire tordue, et Maud a bien du travail devant elle!

Diriez-vous que l’histoire de Claire pourrait être celle de n’importe quelle femme?
Oui, c’est une situation qui peut arriver à bien des femmes. La violence ne se produit pas dès le premier soir d’une rencontre. La violence conjugale, c’est quelque chose d’insidieux, qui s’installe lentement. Il faut continuer à investir dans les services pour les femmes en détresse, mais aussi pour les hommes. Si on prenait cette violence avant qu'elle n'explose, ce serait une bonne chose. Il faut que les hommes puissent parler de ce qu'ils ressentent, qu'ils apprennent à gérer votre colère. Cela dit, les jeunes hommes sont de plus en plus conscients des limites à ne pas franchir. Je pense que le mouvement #MeToo a contribué à changer les choses.

Vous comptez une soixantaine d'ouvrages à votre actif. C'est toute une carrière!
J'écris depuis 40 ans, je ne fais que ça — je n’ai pas d’autre métier —, mais c'est difficile pour moi d'y croire même si les chiffres parlent d'eux-mêmes. Maintenant, je ne me questionne plus que sur le prochain livre et je suis dans une période où je foutrais tout à la poubelle. Quand j'arrive à la moitié d'un roman, je suis de mauvais poil. Mon amoureux en déduit alors que je dois être à la moitié de mon livre. (rires) J'écris dans le doute total et absolu. J'espérais que ça allait être plus facile avec le temps, mais c'est l'inverse. Je n'ose pas m'imaginer comme ce sera horrible dans 10 ans!     

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Vous ne souffrez pas du syndrome de l’imposteur, quand même?
Quand je cherche une idée, oui. Je me dis que ma carrière est finie, que je n’écrirai plus jamais de roman... Puis, ça revient. Réfléchir à un prochain livre, c’est difficile. On prend des notes, mais rien n’est vraiment écrit. Dans ces moments-là, je me sens coupable de ne pas avoir plus et mieux travaillé. Je suis privilégiée de faire ce métier et d’en vivre, mais c’est du travail pour moi. Le plaisir, c’est cuisiner, recevoir des amis, lire un bon livre. J’en lis beaucoup et je suis toujours chroniqueuse à Salut Bonjour

Ces 40 ans de carrière, comment ont-ils commencé?
Avec Chère voisine, publié en 1982. Le polar a été adapté au cinéma. Ç’a été un cadeau! Mon passage à Paris est aussi un moment où j’ai beaucoup appris. Ici, j’étais la seule à faire du roman policier. Là-bas, nous étions une bande de copains. J’ai habité à Paris de 1985 à 1998. À mon retour au Québec, des gens avaient commencé à écrire du polar. Je suis contente qu’il y en ait d’autres. On a à présent beaucoup de bons auteurs dans ce genre littéraire. Plus on est nombreux et plus le roman policier québécois peut exister et attirer l’attention à l’étranger.

Qu’est-ce qui vous avait amenée à Paris?
J’étais une imbécile heureuse! Avec le recul, je me suis demandé comment j’avais fait pour survivre... J’étais jeune, pauvre. Je faisais des petits boulots, j’écrivais pour les supermarchés Carrefour. Mais quel que soit le métier, on apprend, ne serait-ce que pour savoir qu’on ne veut plus jamais faire ça. Ces années n’ont pas été faciles, mais elles ont été heureuses et formatrices. J’ai même rencontré des auteurs. Et moi qui suis si gourmande, j’étais au bon endroit; j’ai beaucoup appris à cuisiner là-bas. La gastronomie est d’ailleurs présente dans mes romans. Au resto, je prends des photos et je griffonne des notes dont je me sers plus tard quand j’écris.

Et qu’est-ce qui vous a ramenée au Québec?
Je voulais une maison. Je me suis demandé si j’achetais à Paris ou à Montréal. Ici, je pouvais avoir une maison et une cour, tandis qu’à Paris j’aurais dû me contenter d’un deux pièces... Aussi, mes frères, ma famille, mes amis avaient tous des enfants et si je voulais les voir un peu. Enfin, mes parents vieillissaient. En restant là-bas, j’aurais toujours été partagée entre ma vie française et ma vie montréalaise.

Retournez-vous régulièrement en France?
Oui, je fais le voyage au moins une fois par année, sinon deux, mais depuis la covid, je n’y suis pas retournée. J’ai gardé des amis en France, dont certains vieillissants. Il faudrait que j’y retourne, car personne ne rajeunit... Ça me rappelle que le temps passe plus vite qu’on l’imagine. Paris, c’est comme si c’était hier... Je suis une râleuse, une impatiente, une angoissée, mais je ne devrais pas être ainsi. Je suis quand même chanceuse.

Chrystine Brouillet rêve-t-elle parfois de retraite?
Oh, non! Je participe à moins d’activités, car je n’ai pas le courage de sortir le soir, mais je continue d’écrire. Si je ne le fais pas, je deviens agressive! (sourire) Je ne continuerai peut-être pas au même rythme, mais les idées continuent de me venir de partout. Je peux être dans un mariage et me demander qui pourrait mourir et comment. (rires) C’est naturel pour moi de trouver la faille qui permettrait un drame.

Imaginer le pire fait-il partie de votre nature?
Oui. C’est pénible pour ceux qui vivent avec moi... C’est toujours la catastrophe! Je suis une psychorigide angoissée. J’imagine le pire dans mes romans en permanence et je transpose ces scénarios dans ma vie. Les seuls moments où je suis sereine, c’est lorsque je cuisine: je sais ce que ça devrait donner comme résultat.

Si vous n’aviez pas écrit, qu’auriez-vous fait?
J’aurais travaillé dans la restauration. J’ai d’ailleurs été serveuse pendant six ans et j’ai adoré ça!

Hormis le côté professionnel, vous vivez aussi une longue relation amoureuse. Seriez-vous une femme qui aime le long terme?
On dirait que oui. J’ai une amie, Esther, depuis l’âge de 13 ans. Il y a 40 ans, on était ensemble en France quand j’avais gagné le prix Robert-Cliche.

Quel sera votre prochain projet?
Le personnage est une femme de mon âge, 60 ans. Je trouve ça important qu’on existe, et le fait que des actrices de 50 ans aient des premiers rôles, ça me rassure. Les choses changent, lentement.      

Le roman Une de moins est disponible partout.
Chrystine est chroniqueuse à
Salut Bonjour, diffusée tous les matins dès 6 h, à TVA.

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