Rentrée dans les cégeps : un cauchemar d’incertitude pour des enseignants précaires
Myriam Lefebvre
De nombreux professeurs de niveau collégial sans permanence se disent excessivement inquiets de n’obtenir aucun contrat à la rentrée d’automne en raison d’une baisse d’inscriptions des étudiants.
«J'ai moi-même 30 étudiants sur 80 qui ont abandonné mes cours [à l’hiver], sans compter ceux et celles qui [...] n'ont pas réussi. Appelez-moi pessimiste, mais je m'attends à une baisse d'inscriptions d'environ 30%», affirme Sébastien Ouimet, enseignant en mathématiques à Montréal. Plusieurs de ses élèves l’ont avisé qu'ils ne se réinscriraient pas si la prochaine session s’effectuait en ligne.
D’autres jeunes pourraient aussi se désister pour des motifs financiers et des étudiants étrangers pourraient être dans l’impossibilité de se déplacer au Québec.
Des prévisions difficiles à faire
Pour un professeur qui enseigne dans plus d’un établissement, accepter une offre au printemps relève déjà d’un pari risqué. Avec le contexte imprévisible de la pandémie et des projections plus ou moins justes des cégeps, ce pari se transforme en «bombe d’incertitude et de désespoir» pour nombreux d’entre eux, soutient Sébastien Ouimet.
Les enseignants dits «précaires» reçoivent des tâches au printemps, conçues selon des prévisions d'étudiants qui peuvent varier d’un cégep à l’autre. Celles-ci sont révisées quelque peu avant la rentrée automnale, selon les inscriptions confirmées. Cette année, certains cégeps ont tenu compte d’une potentielle baisse d’inscriptions liée à la COVID-19 dans leurs prévisions, d’autres non.
«Si je refuse une de mes deux offres, je ne peux pas revenir en arrière, et si je dis oui, et qu’ensuite je perds ma tâche parce qu’ils coupent des cours rendus à l’automne, j’ai juste tout perdu», explique M. Ouimet. Qui plus est, refuser une offre peut mener, selon certains critères, au statut démissionnaire de celui-ci, le rayant de la liste de professeurs d’un l’établissement. Bref, le casse-tête s’alimente de multiples façons.
Encore chanceux sont ceux qui reçoivent des offres. D’autres, comme Sébastien Hurtubise, attendent toujours de voir leur téléphone sonner. Sur le chômage partiel depuis janvier, le professeur d’éducation physique ne sait ni s’il travaillera à l’automne, ni comment il pourra donner des cours à distance advenant qu’il reçoive un contrat. «Le chômage a une fin. Je n’ai pas droit à la PCU. Je suis père de famille et j’ai trois enfants», dit-il, inquiet.
Crainte d’offrir un enseignement de piètre qualité
Avec une tâche en mathématiques quasi assurée dans un cégep de Québec à l’automne, Pier-Luc Morissette est préoccupé à l’idée d’offrir un enseignement de qualité aux élèves qui suivront son cours adapté en ligne ou pire encore, de les voir abandonner. «Ce qui m’inquiète, c’est de ne pas savoir comment je vais faire pour ne pas que ça n’arrive pas. J’ai de la misère à voir ce que je vais pouvoir faire de mieux et de différent», raconte celui qui compte suivre la formation sur l’enseignement à distance offerte par le gouvernement provincial.
Si les perspectives pré-pandémie étaient plus que jamais encourageantes pour les professeurs du cégep grâce au baby-boom de 2003, plusieurs professeurs craignent désormais que cette hausse démographique n’ait plus l’effet escompté. D’autres, plus optimistes espèrent que le gouvernement permettra l’embauche d'un plus grand nombre de professeurs pour offrir un encadrement adéquat aux étudiants qui suivront des cours adaptés à distance ou qui suivront une formation présentielle donnée en alternance.
Enseigner pour les étudiants étrangers
Au Campus de Montréal du Cégep de la Gaspésie et des Îles, où la formation est exclusivement offerte aux étudiants étrangers, la situation est tout aussi inquiétante. Avec aucun vol d’avion qui ne sort de nombreux pays et des cours difficiles à offrir à distance avec les multiples décalages horaires, la rentrée de septembre est hypothéquée.
«Le campus, ici, n’utilise que des chargés de cours, et non des enseignants [permanents]. Il est donc impossible pour l’ensemble de nos membres d’être rémunérés, s’il n’y a pas d’étudiants», indique Vincent Guérard, enseignant chargé de cours en droit et président du syndicat enseignant dans le collège.
Situation similaire dans les universités
Bien que l’octroi de contrats soit différent à l’université, la pandémie pourrait aussi rendre la situation de ses chargés de cours universitaires particulièrement instable. Une baisse de contrats pourrait être à prévoir, selon Pierre G. Verge, président du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal (SCCCUM).
Offre de cours réduite pour des raisons budgétaires, stages des étudiants suspendus entraînant un besoin moins élevé de superviseurs, étudiants étrangers moins nombreux: plusieurs enjeux sont à considérer. Sans compter que le ralentissement des universités pourrait, à plus long terme, donner lieu à une baisse d’embauche de professeurs.