Denise Filiatrault fait le bilan de son parcours

Dominic Gouin
Photo portrait de Louise Deschâtelets

Louise Deschâtelets

2020-10-18T13:00:00Z

Obtenir un rendez-vous avec Denise Filiatrault a toujours quelque chose d’un peu angoissant, vu son horaire chargé et l’aura de gloire qui l’entoure. Cette femme au dynamisme incomparable n’est pas du genre à s’apitoyer sur elle-même, pas plus qu’à s’attarder dans des conversations qui ne mènent nulle part. Elle n’a pas de temps à perdre.

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Pendant que je réfléchissais à la façon de l’aborder pour capter son attention et lui donner envie de se raconter, je me remémorais mon premier contact avec elle, vers la fin des années 1960, alors que je débutais comme comédienne. J’avais été embauchée pour faire de la figuration dans l’émission Moi et l’autre, dans laquelle Denise partageait la vedette avec Dominique Michel. Certains s’en souviendront peut-être. Il s’agissait de l’épisode dans lequel Denise apprenait le principe de l’entartage à Dominique pour créer l’effet de surprise, tant pour celui qui reçoit la tarte en plein visage (Dominique en l’occurrence) que pour le public, qui reste figé devant l’insolence du geste. La réaction de Dominique à cette agression était si follement drôle qu’après quelques secondes, une fois la tarte écrasée dans sa figure, le fou rire gagnait tout le monde, incluant Denise, et qu’il fallait refaire la prise. Quelle leçon de jeu j’ai reçue ce jour-là! Mais quelle leçon de patience aussi!

Quelques années plus tard, j’ai eu une autre occasion de partager un plateau avec Denise, dans un rôle plus consistant cette fois, dans la comédie musicale de Michel Tremblay et François Dompierre Demain matin, Montréal m’attend. Denise, qui a tous les talents, incarnait Lola Lee, une célèbre chanteuse de cabaret — sœur aînée de la jeune première Louise Tétrault — qui quitte son Laval natal pour venir faire carrière à Montréal. Quel baptême ce fut de jouer, chanter et danser aux côtés de cette dynamo qu’a toujours été Denise! Et je ne vous parle pas de l’énergie déployée hors scène par cette femme qui avait l’art de modifier sa voix pour jouer des tours à tout le monde au téléphone, ainsi que planifier les «repas après spectacle». Ce fut une tournée mémorable pour la néophyte que j’étais encore. Ouf, que le temps passe vite!

Denise, j’espère que tu n’as pas d’objection à ce qu’on entre tout de suite dans le vif du sujet de l’heure: la covid. Comment vis-tu la situation depuis le début?
Pas trop mal, je te dirais. Ça m’a donné l’occasion, moi qui n’arrête à peu près jamais, de m’enfermer chez moi pour me laisser couler dans la vie, sans obligation ni agenda. Je lisais, je regardais la télé. Des amis ou mes enfants faisaient mes courses, et les journées passaient doucement, comme dans un temps en suspension.

Ça ne t’a pas angoissée après un moment?
Pas du tout, puisque je n’avais d’autre choix que de «faire avec». Quand tu dois faire face à quelque chose d’aussi dangereux, pour lequel on te martèle qu’il faut que tu te mettes en réclusion pour ne pas être contaminée, eh bien, tu le fais, pour ta propre sécurité.

Si tu remontes dans le passé, te souviens-tu d’un événement qui aurait frappé le monde culturel aussi fort que la covid?
Oh oui! La grève des réalisateurs à Radio-Canada. En décembre 1958, ils avaient déclenché une grève pour faire reconnaître leurs droits. Jean Duceppe, le président de l’Union des artistes d’alors, a décrété un beau matin, à brûle-pourpoint, que tous les artistes allaient emboîter le pas pour appuyer cette grève. Ce fut un choc, car personne ne s’y attendait, et ça a bouleversé et mis en péril la vie d’une majorité de gens du milieu. Je m’en souviens encore.

La directrice du Théâtre du Rideau Vert que tu es a-t-elle été aussi calme que la femme devant l’adversité que représente la covid pour la survie d’un lieu culturel dont les fonds ne sont pas infinis?
Bien sûr, il y a les craintes financières que ça représente pour la Compagnie, mais en même temps, je nourris un tel désir que la machine reparte. J’ai redirigé mes énergies vers le travail de mise en scène que j’allais devoir refaire (distanciation oblige) pour la première pièce à l’affiche, Adieu Monsieur Haffmann, dont la première a justement eu lieu avant les nouvelles mesures restrictives et que j’espère pouvoir présenter de nouveau en novembre.

Une pièce qui, en gros, raconte quoi?
Ça se passe en France sous l’occupation allemande, et la question juive y est prédominante. Grâce à un couple de Français, monsieur Haffmann, un bijoutier, entre dans la clandestinité. On y découvre combien la promiscuité et les privations peuvent faire sortir le meilleur et le pire de l’être humain. Ça montre aussi jusqu’où l’humain est prêt à aller quand il s’agit de faire face à son destin.

Dans ce contexte particulier, la distanciation obligatoire t’a-t-elle donné beaucoup de fil à retordre?
Oui et non, puisque l’histoire en elle-même suppose une certaine distanciation. Mais ça fait drôle de devoir toujours penser à ça en dessinant les déplacements des comédiens sur scène. Cela dit, le théâtre est sécuritaire. Avec tout l’argent qu’on a investi dans cette pièce, c’est vraiment dommage qu’on ait dû suspendre les représentations.

Vous aviez suivi les consignes avec beaucoup de rigueur?
Je vais te répondre selon ma façon habituelle de réagir dans des cas semblables: j’ai fait avec. Quand tu es obligé de t’adapter à quelque chose, si tu ne veux pas faire d’ulcères, tu dois apprendre à composer avec la contrainte. 

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Mais ce n’est pas un peu triste de ne pouvoir accueillir que 140 spectateurs dans une salle de 426 places?
C’est une autre chose à laquelle tu n’as d’autre choix que de t’habituer si tu veux que la machine reparte.

On m’a rapporté que tu n’avais plus envie de monter de comédie musicale comme tu l’as fait jadis avec tant de succès. Est-ce que c’est vrai?
S’il y en avait une qui me touchait et me passionnait autant que celles que j’ai déjà montées, je ne dirais pas non. Mais les bonnes comédies musicales se font rares.

Pour en finir avec la covid, Denise, toi qui possèdes un appartement en Floride, est-ce que tu crains de ne pouvoir t’y rendre cet hiver?
Ah ça oui, par exemple! Depuis quelques années, je trouve ça dur l’hiver ici. Comme j’adore me retrouver au chaud les deux pieds dans le sable, si ça devait se produire, ça me manquerait beaucoup.

Tu as eu deux filles, Sophie et Danièle. Dans ta vie de femme, est-ce que c’était une nécessité d’avoir des enfants?
Est-ce qu’avoir des enfants était nécessaire pour moi? Je ne pourrais pas te le dire. Mais le fait d’en avoir eu est certainement quelque chose de très important dans ma vie. Sauf que si tu me demandes comment s’est passée leur enfance, je te répondrai que ça n’était pas simple du tout à l’époque. Il n’y avait pas de garderies comme c’est le cas aujourd’hui. Et puisque j’étais soutien de famille, je n’avais d’autre choix que de les faire garder pour aller travailler. Et pour les faire garder, soit on les mettait en pension, soit on les gardait à domicile. Comme il n’était pas question pour moi qu’elles soient pensionnaires, j’avais donc des gouvernantes à la maison. Dans certains cas, elles étaient plus ou moins bonnes, mais mes filles s’y sont toujours bien adaptées.

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En quoi dirais-tu que pratiquer le métier aujourd’hui est différent de ce qui se faisait à tes débuts?
Je trouve que les jeunes d’aujourd’hui ont une chance inouïe par rapport à nous, qui devions apprendre sur le tas. Ils ont des écoles fabuleuses où ils peuvent se former avec des professeurs compétents. Moi, j’ai eu la chance d’avoir mon mari, Jacques Lorain, qui m’a beaucoup aidée et formée. C’est grâce à lui si j’ai évolué aussi vite. Mais il n’en reste pas moins qu’à l’époque, on était des autodidactes.

Tu les trouves chanceux, les jeunes d’aujourd’hui?
Certainement! En plus, ils ont l’opportunité de voyager à travers le monde pour voir ce qui se fait ailleurs. Une chance que nous, on n’avait pas. Et comme ces jeunes sont très bons, ils ont aussi la possibilité d’aller travailler ailleurs. Moi qui ai enseigné, je peux te dire qu’ils ont un talent fou. Mais comme ils sont trop nombreux pour la petitesse du marché québécois, ils ont de plus en plus de possibilités d’aller travailler à l’étranger. C’est d’ailleurs grâce à tous ces talents que le Québec est maintenant à l’honneur partout dans le monde.

Est-ce que ça t’a inquiétée de voir que tes filles embrassaient cette carrière?
C’est sûr! Ça inquiète tout le temps une mère. Sophie a choisi Londres pour sa formation, et ça m’a fait peur. Mais en même temps, j’avais confiance. Danièle, de son côté, excelle dans l’écriture, et j’en suis fière.

Et ton petit-fils (Mathieu Lorain Dignard)?
Eh bien, lui, je sens qu’il se dirige ouvertement et résolument vers l’écriture.

Que te souhaites-tu dans un avenir plus ou moins immédiat?
Tu fais bien de spécifier «plus ou moins immédiat», car mon avenir est plutôt derrière moi! Je me souhaite la santé, la santé et la santé. J’en ai toujours eu une bonne, mais j’ai certains signaux d’alerte présentement et je ne voudrais pas que ça s’installe. Tu as des craintes? Plus ou moins. Mais tu sais, je vieillis, je ne rajeunis pas. Quoique, je me dis aussi qu’il faut savoir apprendre à vieillir, et la covid m’a plus ou moins forcée à le reconnaître. Ça m’a décidée à accepter mes cheveux blancs et à mettre un terme aux teintures. Ce qui, dans mon cas, est un grand pas.

Irais-tu jusqu’à dire que ce fut un bon côté de la covid?
Certainement, même si j’appréhende le fait que certains ne m’aiment pas comme ça.

Est-ce que ça t’effraie de te visualiser dans l’avenir?
Ben voyons! C’est fini pour moi! On ne peut pas parler d’avenir, rendue à 89 ans. On peut peut-être parler de fin, même si c’est un mot difficile à entendre. Que ça arrive dans six mois, un an ou deux ans, je m’en vais vers ma fin.

Tu ne regrettes rien du chemin parcouru?
Oh oui, je regrette quelques bébelles. Comme mes aventures dans la restauration, par exemple. J’aurais pu m’éviter ça. Mais qu’est-ce que tu veux, c’était des trips d’amour. J’avais de longues journées de travail qui se terminaient souvent le soir par des shows au cabaret, alors je m’imaginais qu’en mettant des sous là-dedans, ça me permettrait d’avoir du temps avec mon chum du moment, puisque c’est lui qui s’en occupait. En fin de compte, je dois quand même t’avouer que mes histoires d’amour ont toujours passé bien avant ma carrière.

Il y a quelques années, en entrevue, tu as décrété que les hommes, c’était fini dans ta vie. Penses-tu toujours comme ça?
Certainement, ma chérie! À mon âge, il est plus que temps de mettre une croix là-dessus. Me retrouver avec un homme de mon âge pour en prendre soin? Non, non, non! J’essaie plutôt de prendre soin de moi. J’ai assez donné! 

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Les représentations d’Adieu Monsieur Haffmann reprendront au Théâtre du Rideau Vert dès l’annonce de la réouverture des salles de spectacles par la Santé publique.

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