Denise Filiatrault révèle sa plus grande fierté professionnelle

Julien Faugère

Daniel Daignault

2020-07-26T11:00:00Z
2023-10-12T23:43:57.618Z

Toujours aussi active! C’est en confinement que la grande Denise Filiatrault a célébré le 16 mai dernier son 89e anniversaire de naissance. Un confinement qui avait en quelque sorte des airs de vacances forcées pour la directrice artistique du Théâtre du Rideau Vert qui, comme tous ceux qui œuvrent dans le milieu culturel, a vu ses plans être chamboulés par la pandémie.

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D’entrée de jeu, Denise déclare: «Je prends des vacances! J’ai tellement travaillé toute ma vie! Mes filles (Danièle et Sophie Lorain) viennent me voir, elles font mes commissions... J’ai commencé à sortir un peu, mais elles préfèrent que je demeure à la maison parce que j’ai 89 ans et que c’est dangereux. Mais je suis en bonne santé. Je ne suis pas tuable, comme disait l’autre!

Pendant le confinement, j’ai lu beaucoup de choses, dont des pièces de théâtre, j’ai regardé la télévision et j’ai fait du ménage dans mes tiroirs. Je fais aussi des siestes, ce que je n’ai jamais fait de ma vie!» confie-t-elle. Elle ne cache pas qu’elle se sent privilégiée d’avoir la santé et la chance de continuer à travailler au Rideau Vert. «Je me pince toutes les semaines. À mon âge, ce n’est pas évident, donc pour l’instant je me repose. La situation m’inquiète, parce que le Rideau Vert me tient à cœur. J’ai hâte que les théâtres puissent rouvrir leurs portes. Ça n’a pas de bon sens: les gens nous écrivent pour nous dire qu’ils veulent du théâtre, ils en ont besoin parce que ça fait partie de la vie montréalaise.»

Chose certaine, on devra trouver une autre façon de faire les choses, afin de pouvoir présenter des pièces de théâtre tout en respectant les règles dictées par la Direction de la santé publique. Les productions devront être élaborées à plus petite échelle. Durant ces longues semaines passées à la maison, Denise a justement cherché des solutions. «J’ai lu beaucoup de pièces à un ou deux personnages en prévision des nouvelles directives, précise-t-elle, ajoutant que sa saison 2020-2021 était prête. On a toujours deux ans d’avance. Une comédie musicale était prévue vers la fin de l’année, mais je ne peux pas l’annoncer tout de suite.»

COMÉDIENNE DANS L’ÂME

Forcément, avec toutes les activités du milieu culturel qui ont été mises sur pause depuis mars dernier, Denise Filiatrault n’a pas pu procéder au lancement de sa nouvelle saison, qui s’annonçait prometteuse. On est maintenant en mode «on efface tout et on recommence». Si la directrice artistique ne manque pas d’idées et a toujours le feu sacré, la comédienne en elle continue de se faire plus discrète. «J’aimais jouer, j’aimais faire de la télévision, parce que ça changeait toutes les semaines, mais je me tanne de jouer la même affaire durant des mois.» En 2017, elle a tenu la vedette du film réalisé par son beaufils, Alexis Durand-Brault, C’est le cœur qui meurt en dernier, d’après le roman de Robert Lalonde, un rôle pour lequel elle a d’ailleurs obtenu une nomination pour un trophée Iris. Serait-elle prête à sauter dans une autre aventure du genre? «Si ça arrivait, oui, mais ça m’étonnerait, parce qu’il est rare que l’on écrive des rôles pour des comédiennes de mon âge, vous savez...» Denise Filiatrault est une femme aux multiples talents — elle a aussi été réalisatrice, scénariste et metteuse en scène — qui, on le sait, est reconnue pour avoir du caractère. La réplique «Aweille, enchaîne!» lui colle à la peau et on l’a souvent décrite comme une femme exigeante, mais tous ceux qui ont travaillé avec elle diront qu’elle sait surtout ce qu’elle veut et qu’elle prend les moyens pour l’obtenir. Sa force comme metteuse en scène? «Ah, ça, il faudrait le demander aux acteurs! Je dirais que je suis travaillante et que je veux la perfection dans ce que je suis capable d’atteindre; tout le monde n’est pas parfait de la même manière.» La metteuse en scène en elle serait-elle plus douce qu’avant? «Peutêtre, oui», répond-elle en riant. UN

APPRENTISSAGE CONSTANT

Un fait demeure, Denise se dit fort motivée et encouragée de voir à quel point les jeunes interprètes sont talentueux. «Ils ont du talent, mais il faut qu’ils puissent s’en servir, qu’ils puissent jouer, écrire, mettre en scène.» Lorsque je lui fais remarquer que, plus que jamais, il faut être polyvalent pour œuvrer dans ce milieu, Denise me rappelle qu’elle a elle-même touché à différents aspects du métier au cours de sa carrière. «À l’époque, pour gagner sa vie, il ne fallait pas faire qu’une seule chose. Il fallait être débrouillard et nous n’avions pas d’école de théâtre. Le théâtre, on l’apprenait sur le tas. J’ai eu quelques cours d’art dramatique à mes débuts avec Henri Norbert, François Rozet et Jacques Lorain (il a été son mari et il est le père de ses filles). Maintenant, il y a les écoles, de bons professeurs, et tout le monde veut faire ce métier-là! Est-ce que tout le monde a du talent? Ça, c’est autre chose. Ceux qui sont talentueux vont s’en sortir; les autres... peut-être pas.» Quels conseils, du haut de sa vaste expérience, peut-elle donner à tous ces jeunes? «Qu’ils travaillent, qu’ils essaient de suivre des cours pour être mieux formés. S’ils désirent surtout être connus, c’est une autre histoire. La gloire, c’est une affaire; le métier, c’est autre chose.» Denise a commencé sa carrière en 1946, à l’âge de 15 ans, en jouant dans une revue musicale. Sa carrière dure donc depuis 74 ans! Elle a été chanteuse au cours de ses premières années dans le métier, avant de toucher à la comédie dans les années 1950. On se souvient de Moi et l’autre (1966-1971), bien sûr, où elle jouait aux côtés de Dominique Michel, mais elle a aussi marqué les téléspectateurs avec son rôle de Délima Poudrier, surnommée la Grande jaune, dans Les belles histoires des pays d’en haut, personnage qu’elle a interprété durant neuf ans. C’est donc un beau clin d’œil qu’on lui a fait en 2018 en lui offrant le rôle de Stéphanie Poudrier dans Les pays d’en haut. Quand on lui demande si elle estime que c’est un cadeau qu’on lui a fait, elle rétorque: «C’est un cadeau pour eux! Les producteurs ne sont pas fous... J’étais très nerveuse et je n’aime plus autant jouer. Avec l’âge, on a peur de ne pas se rappeler son texte, on devient plus fragile.»

DE GRANDS BONHEURS


Si Denise n’est pas du genre à ressasser le passé et à jouer les nostalgiques, je lui ai quand même demandé quelle était sa plus grande fierté, après toutes ces années de carrière. Sa réponse est surprenante: «Oh, mon Dieu! Ce qui m’a rendue le plus fière? C’est d’avoir été appelée à donner les noms des députés du Parti Québécois, avec René Lévesque à sa tête, en 1976, le soir de l’élection. C’est un beau souvenir. J’étais très flattée qu’on me demande d’annoncer les résultats et de voir René Lévesque enfin atteindre son but.» L’événement se tenait le 15 novembre 1976, sur la scène aménagée au Centre Paul-Sauvé, alors que le Parti Québécois avait été porté au pouvoir. «Du côté de ma carrière, c’est Les belles-sœurs, que j’ai eu le plaisir de créer en 1968. Cette pièce a révolutionné notre théâtre.» Par ailleurs, Denise ne cache pas son bonheur de voir à quel point ses filles ont toutes deux réussi dans le milieu. «Sophie est réalisatrice et productrice; Danièle écrit, elle a son blogue dans Le Journal de Montréal et elle a un talent fou. Elles sont vraiment très bien toutes les deux, et je suis très fière d’elles», confie-t-elle. Quant à son rôle de mère, elle précise: «Je pense que j’ai été une bonne mère, mais je suis probablement une meilleure grand-mère. J’étais une mère qui travaillait et qui n’était pas tout le temps à la maison... Dans le temps, les femmes restaient à la maison pour prendre soin des enfants. Moi, j’avais des bonnes et des gouvernantes qui s’en occupaient, mais mes filles savaient que je les aimais. Et elles s’en souviennent.»

Quant à l’après-covid, Mme Filiatrault croit que les habitués du Rideau Vert, jeunes et moins jeunes — car elle a réussi à rajeunir la clientèle du théâtre au fil des ans —, seront au rendez-vous lorsque les activités reprendront. «Les gens s’ennuient, ils ont hâte de sortir et d’aller au théâtre, mais ils veulent être sûrs qu’il n’y aura pas de problème, que tout va bien se passer. Moi-même, j’ai 89 ans, je ne veux pas me promener dans les foules. Est-ce qu’on va pouvoir y arriver avec des pièces à plus que deux ou trois personnages, et avec un auditoire réduit? Je ne pense pas», dit-elle. Parmi les projets qui lui sont chers, Denise confie que le spectacle qui devait être le dernier de la saison en 2021, une comédie musicale, lui tient beaucoup à cœur. «C’est un vieux rêve. Je veux monter ce spectacle depuis l’âge de 11 ans!» Et pourquoi ne l’a-t-elle pas fait avant? «Parce que je n’osais pas. Mais là, j’ose!» 

Le Théâtre du Rideau Vert reprendra graduellement ses activités en août. Info: rideauvert.qc.ca.

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