La revente de sneakers: emploi à temps partiel, passion à temps plein
Myriam Lefebvre
La revente de chaussures et de streetwear en édition limitée de marques comme Nike, Adidas ou Supreme est une réelle passion pour de jeunes Québécois. Pour d’autres, elle devient même un emploi, permettant d’amasser des dizaines de milliers de dollars, dans un marché niché dont la croissance est fulgurante et dont les prix des produits explosent comme en Bourse.
Marc-Antoine Laberge a 24 ans et habite sur la Rive-Sud de Montréal, dans un appartement où il compte près d’une centaine de paires de chaussures. Ne cherchez pas dans sa garde-robe la petite paire de Vans standard que tout le monde porte. Il ne possède que des éditions limitées de marques comme Nike ou Adidas qu’il paie en moyenne 1000$ la paire.
Faites le calcul, il a potentiellement un chalet qui dort dans sa garde-robe.
«Ma famille ne comprend pas trop», dit-il, lorsqu’on lui demande s’il se sent jugé par ses proches de posséder autant de sneakers. Je pense que c’est le problème de beaucoup de gens qui collectionnent des souliers. Les gens vont essayer d’imaginer pourquoi on va mettre une somme d’argent aussi grande là-dessus».
S’il avoue en avoir quasiment eu mal au cœur lors de ses premiers achats il y a bientôt trois ans, il perçoit maintenant ses dépenses comme des investissements. «Une des premières paires que j’ai achetées, c’était des Off White Blazer (Nike). Je les avais achetées 630$ et je pense qu’elles se vendent 2500$ maintenant», dit-il.
Le développeur informatique, qui a commencé le tout par passion et pour sa collection, achète parfois même ses chaussures en double, afin d’avoir une paire pour lui et une autre qu’il peut revendre à profit. Il possède un compte de revente sur Instagram et possède aussi sa chaîne YouTube où il s’adresse à des jeunes de 15 à 25 de sa communauté dite «hype».
L’effet de rareté
Jusqu’où est-il prêt à aller pour des chaussures? «J’ai dépensé, je pense que c’est 5000$ pour une paire de Off White Jordan 1 Chicago. C’est un item de collection qui ne va jamais quitter ma collection», dit-il. Il a également effectué plusieurs voyages aux États-Unis et au Canada pour faire la file devant des magasins où il pouvait mettre la main sur de rares espadrilles qu’il convoitait.
Pour Marc-Antoine, l’idée de se promener dans la rue et d’être l’un des seuls à pouvoir porter le modèle de chaussures qu’il a dans les pieds lui plaît particulièrement. Par-dessus tout, c’est l’aspect limité qui motive ses achats. L’offre est d’ailleurs tellement limitée pour certains articles qu’il qualifie la situation d’un réel marché boursier du sneaker.
Comme à la Bourse
À Québec, le président du Hype Store Canada, qui se spécialise dans la revente d’articles rares et exclusifs de marques, suit le marché avec extrêmement de vigilance. «Récemment, Netflix a sorti un documentaire sur la vie de Michael Jordan [...]. Ça a fait exploser le prix des Jordan. Il y a plusieurs effets comme ça qui font que de jour en jour, les prix vont monter et descendre. Un produit peut valoir 200$ et le lendemain, il peut en valoir 800», explique-t-il.
Les vedettes ont beaucoup à voir avec cette fluctuation. Plusieurs font des associations avec des marques, par exemple Kanye West et ses Adidas Yeezy ou Travis Scott avec Nike, et les produits se vendent comme des petits pains chauds. D’autres stars mondiales, par le simple fait de porter une paire de chaussures, créent aussi la tendance: par exemple, Drake, Jay-Z, Eminem ou même des pop stars comme Justin Bieber, Selena Gomez ou Cardi B sont au-devant de la mode.
Le marché est si important que le site américain StockX se spécialise dans l’évaluation du prix de revente de multiples modèles limités, tel un indicateur boursier. «C’est sûr qu’en ce moment, on parle de plusieurs millions de dollars de revente d’articles hype par année au Canada», estime Olivier Robitaille. Aux États-Unis, où le marché est encore plus important, on calcule que la revente atteindra les 6 G$ cette année.
Le mouvement devrait d’ailleurs poursuivre une forte croissance dans les années à venir, selon Olivier. Collectionneur depuis plusieurs années, il a débuté la revente pour se départir d’un trop-plein de chaussures auprès de ses amis, avant de revendre à un cercle plus large, puis à lancer un espace physique qualifié dans le jargon de Buy, sell, trade (achat, vente, échange).
Quand il a une nouvelle «drop», la file qui se trouve devant son magasin se compose donc d’un tiers de revendeurs, d’un tiers d’acheteurs qui garderont les chaussures et d’un dernier tiers de personnes qui achèteront pour alimenter d’autres magasins.
De 11 à 35 ans
Dans ces files, la clientèle est âgée entre 11 et 35 ans. «On a des jeunes de 12 ans qui viennent s’acheter des souliers à 400-500$ la paire avec leur père ou leur mère», raconte Olivier. Enfants gâtés? Peut-être pour certains, mais d’autres amassent leurs sous durant un bout de temps avant de s’offrir leur première paire et comprennent très bien la valeur de l’argent, insiste le propriétaire.
«Ils vont collecter beaucoup pour ça, des fois pendant leur emploi d’été, et ils vont en acheter et ils vont faire une rotation de souliers, revendre pour s’en acheter d’autres», et entrer ainsi dans le cercle des petits resellers, explique Marc-Antoine.
Et les plus entrepreneurs de la gang deviennent, de fil en aiguille, de grands resellers. «Nous-mêmes au magasin, on a aidé des jeunes à partir. Je pense à un petit jeune de la Rive-Sud de Québec. Au début, on lui demandait d’acheter des souliers pour nous et maintenant, il a parti sa propre page de resale sur internet et il vend des dizaines de milliers de dollars d’articles par année, facilement», dit Olivier.
Elle est loin derrière, l’idée d’emploi d’été pour ces jeunes entrepreneurs.