Il quitte son 9 à 5 pour fabriquer des cuillères en bois

Photo Courtoisie Anne-Sophie Beaudoin

Myriam Lefebvre

2019-12-01T10:05:00Z
2023-10-12T23:03:44.849Z

Jeune trentenaire originaire de Lévis, Mathieu Venière-Cyr avait l’ambition pure du millénarial: la liberté au travail. Son curriculum vitæ était brillant et lui promettait un avenir reluisant dans un poste de direction d’une grande compagnie. Se démarquant au sein de L’Oréal, Air Canada ou Lozeau, il a plutôt choisi de réorienter sa carrière et nourrir le projet de son père, celui des cuillères musicales Héritage en bois d'érable.  

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Pourquoi des cuillères musicales? Son père, Richard Cyr, avait été interpellé par un ami, à l’époque guide dans une cabane à sucre en bordure de Québec, pour confectionner un souvenir aux visiteurs. Perdant son emploi de technicien en environnement à la fin des années 90, il avait alors décidé d’en faire son réel gagne-pain.  

«Il a fait toutes sortes de produits en bois pour les touristes; des boutons, des embouts de crayons, des bracelets, mais c’était les cuillères qui marchaient le plus», raconte le fils.  

Photo Courtoisie Anne-Sophie Beaudoin

Le saut dans le vide  

Impliqué dans quelques étapes de fabrication à gauche à droite à l’adolescence, puis comme conseiller administratif dans sa vie de jeune adulte, Mathieu a réellement sauté dans le train en 2014. «Mon père a connu une année difficile. J’ai voulu regarder différentes pistes de solution avec lui pour qu’il trouve de nouvelles sources de revenus avec les cuillères», relate celui qui bossait de soir et à distance sur l’entreprise paternelle.  

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Deux années plus tard, il est déménagé de Montréal à Québec pour s’investir à temps plein comme artisan associé ou plutôt comme visionnaire stratégique. «Mon père dit souvent qu’il est le cœur de l’entreprise, et moi le cerveau. [...] L’un ne va pas sans l’autre», croit-il.  

Courtoisie - Anne-Sophie Beaudoin

Des échardes, au propre et au figuré  

S’il salue la ténacité et la résilience de son papa à surmonter les embûches, par exemple la baisse notoire du tourisme au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Mathieu s’est doté de cette même persévérance au fil du temps.  

«On n’est parti de pas grand-chose. On vivait quasiment dans l’atelier. En fait, on dormait là pour pouvoir produire plus et vendre plus parce qu’on n’avait pas beaucoup de sous», dit-il. N’ayant jamais bénéficié de marge de crédit ou même de prêt bancaire, les deux partenaires n’ont su compter que sur eux-mêmes. «On s’est autofinancé à 100%. De là, l’idée de ne partir de rien», renchérit-il.  

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Production en accéléré, démarchage d’affaires acharné, site web revampé, stratégies marketing déployées; les 24 heures d’une journée n’étaient jamais assez pour l’entrepreneur. Misant d’abord sur l’appui des boutiques souvenir du Vieux-Québec, qu’il a gagné une à une pour augmenter ses ventes, Mathieu a senti qu’il pouvait percer le marché à plus grande échelle.  

Une croissance de 600%  

L’artisan qui comptait cinq clients avant que son garçon ne se joigne à lui peut maintenant en répertorier 250. 250 points de vente de Saint John’s à Vancouver et même dans quelques endroits aux États-Unis.  

«En 2015, mon père vendait 3 000 cuillères par an, et cette année, on va en avoir vendu 20 000», mentionne celui qui a vu la croissance de son entreprise gonfler de 566%. Le prix au détail de l’instrument varie par ailleurs de 23 à 50$.  

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Quatre mains n’étant plus assez pour répondre à la demande, les cuillères musicales Héritage embauchent désormais cinq employés en sous-traitance. Ceux-ci sont principalement des retraités effectuant des tâches de fabrication et d’envoi, par pur plaisir, de leur maison.  

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Leur atelier basé dans le secteur de Saint-Nicolas, à Lévis, abrite des milliers de cuillères musicales de différents formats et de toutes les couleurs, façonnées dans du bois d’érable d’ici. Les deux associés y conçoivent aussi des présentoirs en bois de grange, qu’ils fournissent à leurs acheteurs commerciaux afin d’attirer l’œil de leur clientèle.  

De l’Assemblée nationale à Saturday Night Live  

Conçues pour les touristes curieux des traditions ancestrales, pour les enfants amusés par leurs sonorités, pour les nostalgiques des fêtes folkloriques ou pour les percussionnistes les plus aguerris, les cuillères musicales Héritage trouvent différents publics. Tellement qu’on peut les voir à l’Assemblée nationale du Québec, mais aussi entre les mains de Shawn Pelton, batteur à l’émission Saturday Night Live sur le réseau américain NBC.  

«Il est allé à Montréal en voyage. Il a vu nos cuillères dans une boutique, m’a écrit un courriel pour m’en acheter deux et là il vient de m’en commander une douzaine», rapporte celui qui a aussi fait des ventes auprès de Dennis Chambers, percussionniste pour Santana.  

Courtoisie - Anne-Sophie Beaudoin

Souhaitant percer davantage auprès de la clientèle musicale afin de faire accroître la notoriété de l’instrument, en plus de poursuivre son évolution financière, Mathieu espère que l’expansion de sa compagnie ne sera pas freinée par le temps.  

«Je n’ai peut-être plus de paie qui rentre toutes les deux semaines, mais je suis libre de faire ce que je veux quand je veux. [...] Je n’ai pas d’autre limite que le temps dans ma journée», lance-t-il, la voix pleine d’ambition.  

 

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