Adib Alkhalidey revient sur son adolescence tumultueuse

Photo : Patrick Seguin

Patrick Delisle-Crevier

2020-07-28T20:00:00Z
2023-10-12T23:44:05.116Z

Bien qu’il soit toujours gentil, Adib Alkhalidey est un homme de peu de mots. Mais lors de notre dernière rencontre avec l’humoriste, il y a quelques semaines, celui-ci s’est ouvert plus que jamais. Il nous parle de son enfance, de ses débuts en humour et de ses projets.

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Adib, j’ai l’impression que ça fait un petit bout qu’on s’est vu...
Effectivement, je travaille en ce moment à un nombre incroyable de projets secrets qui me tiennent dans l’ombre. Je n’ai jamais été aussi occupé de toute ma vie! J’espère pouvoir en parler dans un avenir rapproché.

Tu es dans l’ombre des médias depuis quelque temps. Comment vis-tu ça? Était-ce volontaire?

Je vis très bien avec ça. Il faut s’isoler, des fois. Je fais plein d’affaires; pas uniquement de l’humour. Je refuse plein de propositions, car je manque de temps. Mes projets m’occupent vraiment trop. Je suis passionné par ce que je fais, donc tout le reste prend le bord. Mon objectif est de regagner un peu de liberté lorsque j’aurai présenté tous mes projets.

Est-ce difficile pour toi de dire non?
Ça fait à peu près un an que je me permets de refuser des projets. En fait, ce qui est dur, c’est de penser que la personne à qui on dit non va en faire une affaire personnelle. Mais ce n’est jamais personnel; c’est toujours une question d’énergie et d’investissement de temps.

Depuis combien d’années pratiques-tu ce métier?

J’ai commencé à 22 ans et j’en ai maintenant 32; ça fait donc 10 ans. C’est fou! J’aurais pu commencer à 32 ans et j’aurais été considéré comme un jeune humoriste. Je viens d’un quartier à forte concentration ethnique que les gens ne connaissent pas; c’est une communauté dont on sait peu de choses. Les 10 dernières années n’ont pas seulement été mes premières années dans le milieu de l’humour; c’est aussi la période où je suis sorti de l’univers dans lequel j’ai grandi et que j’ai découvert l’autre visage de Montréal. Pour plusieurs, mon quartier est «l’autre Montréal», alors que c’est l’inverse pour moi. Dans ma classe, il n’y avait que des Noirs, des Arabes, des Pakistanais... Les Blancs étaient minoritaires. J’avais trois amis blancs, et nous étions très proches. Au fil de la dernière décennie, j’ai découvert un nouveau monde. Je me sens prêt à dévoiler la personne que je suis.

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Tu as grandi à Saint-Laurent. Comment décrirais-tu ton enfance?
J’ai vécu à différents endroits: Côte-des-Neiges, Cartierville, MontréalNord, Gatineau, puis Saint-Laurent. Je ne sais pas pourquoi, mais mes parents ont souvent déménagé quand j’étais petit. J’ai déménagé environ 10 fois entre ma naissance et l’âge de huit ans. Je réalise aujourd’hui que je ne développe pas de sentiment d’attachement avec les gens ou les choses. Quand j’étais jeune, je n’ai jamais eu la chance de développer une relation avec des amis avant l’âge de huit ans. Je n’ai pas vécu la même vie que la majorité des gens que je rencontre. Je vis mes émotions différemment, parce que j’ai toujours été séparé de mon habitat. Je crois que ça m’a apporté beaucoup de qualités, mais ç’a aussi engendré son lot d’insécurités.

Tes parents avaient-ils la bougeotte?
Mon père a d’abord fui l’Irak pour s’installer au Maroc, où je suis né. On est ensuite venus au Québec. Mes parents ne connaissaient rien du Québec, lorsqu’ils sont arrivés ici. Ils se sont installés dans un quartier. Ils n’avaient pas beaucoup d’argent, alors nous sommes passés d’un quartier défavorisé à un autre. Mais certains quartiers défavorisés sont moins dangereux que d’autres. Mes parents voyaient bien qu’il y avait toujours beaucoup de crimes dans les endroits où on habitait. Quand j’avais quatre ans, la porte d’un voisin était ouverte, alors je suis entré. Il y avait un pistolet sur la table; je l’ai apporté chez nous pour le montrer à mon père! Il a appelé la police. Je crois que ça explique pourquoi on déménageait si souvent. Mes parents ont finalement trouvé leur quartier idéal en Saint-Laurent. C’est multiethnique et défavorisé, mais c’est un endroit extraordinaire. C’est un paradis pour moi, et j’y vais encore chaque semaine.

Tu y as aussi vécu ton adolescence. Quel souvenir en gardes-tu?

J’ai habité dans ce quartier jusqu’à l’âge de 24 ans. Saint-Laurent est magnifique, c’est le paradis sur terre. C’est le plus bel endroit que je connaisse, et je n’en garde que de bons souvenirs. Pour moi, c’est le monde moderne: les Blancs et les immigrants y vivent ensemble et ils ont trouvé le moyen d’en faire la norme. C’est en sortant de Saint-Laurent que j’ai réalisé sa différence, que ce n’était pas comme ça partout ailleurs. Il y a encore un clivage énorme entre les gens issus de l’immigration et ceux qui ne le sont pas, car chacun évolue dans des réseaux fermés. Pas par choix, mais par culture. À Saint-Laurent, c’est un peu bizarre, parce que c’est très diversifié. Quand j’étais sauveteur, je réalisais à quel point ça l’était; il y avait des gens de toutes les classes sociales.

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À quel moment as-tu décidé de faire carrière en humour?
Y a-t-il eu un genre de déclic?
Quand j’étais ado, j’ai commencé à faire des mauvais coups. Tu sais, quand la vie te présente deux voies et que tu dois décider laquelle tu dois prendre... Pour moi, la mauvaise était claire. J’ai été expulsé du cégep. Ma mère m’a demandé d’aller vivre chez mon père, puisqu’ils étaient alors divorcés. J’ai réalisé que les choix que je faisais me menaient dans une mauvaise direction. À 19 ans, j’ai pris conscience que mes parents avaient vécu une vie misérable pour nous; ils ont tout quitté pour nous offrir un monde meilleur. Le cinéma et la comédie m’intéressaient, mais l’autre chose que j’aime le plus dans la vie, c’est entendre les gens rire. Alors, j’en ai fait mon métier. On ne m’a jamais encouragé à entreprendre une carrière artistique. Ma carrière en humour est le résultat d’un réel besoin de survie afin d’éviter de devenir un petit voyou et de me retrouver en prison.

Comment cette démarche s’est-elle concrétisée?

Le début de mon parcours a été très compliqué. Je me suis inscrit aux cours du soir de l’École nationale de l’humour, mais c’était très humiliant, car j’étais excessivement mauvais. Je présentais des numéros et personne ne riait. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont permis de m’améliorer, dont Alexandre Douville. Il m’a appris comment livrer mes blagues pour qu’elles soient punchées. Il m’a pris sous son aile. Et là, ma vie a changé. Lorsque je montais sur scène, je n’étais plus la même personne; je savais où j’atterrissais. J’ai ensuite passé les auditions pour l’École nationale de l’humour et j’ai été le dernier sélectionné. La directrice m’a dit qu’ils hésitaient entre un autre Arabe et moi. Il faut peut-être remercier les quotas de minorité; ils avaient peut-être besoin d’un Arabe dans la classe! (rires) Je n’avais pas confiance en moi. Je n’ai pas beaucoup d’habiletés sociales; interagir avec des inconnus a toujours été très compliqué pour moi. Toute ma vie, j’ai été rejeté, car ça me prend un certain temps avant de créer des liens avec un autre être humain. Je suis très réservé, et c’est souvent interprété comme un message négatif. Ma vie a vraiment commencé quand j’ai quitté l’École nationale de l’humour, en 2010.

Qu’aurais-tu envie de dire au Adib de 2010?
Je ne lui dirais rien. Il avait le cœur à la bonne place, à cette époque. Mes parents m’ont enseigné, avec leurs actions, qu’il ne faut jamais avoir honte. Et qu’il ne faut jamais se comparer aux autres et à ce qu’ils ont. En 2010, tout ce que je voulais était de travailler. J’ai commencé au bas de l’échelle.

Pourquoi dis-tu que tes années à l’École nationale de l’humour n’ont pas été faciles?
Parce que c’est très compétitif. Dans mon quartier, on ne te promet pas grand-chose dans la vie, alors c’était déjà un cadeau d’être là. Je voyais la chance que j’avais; j’étais reconnaissant d’être là. Mais, en réalité, c’est un milieu où il n’y a aucune règle morale. De la compétition se crée de nulle part. Quelqu’un peut décider de te nuire si ton talent le dérange. Les humains sont fondamentalement bons, mais ils peuvent aussi être fondamentalement mauvais. Comme tout le monde veut survivre, une compétition s’installe. C’est malsain, et tu finis par t’isoler. Et en t’isolant, tu donnes aux gens une vraie raison de te rejeter. Ça devient un cercle vicieux.

Comment t’en es-tu sorti?

Ça m’a pris du temps à comprendre que, quand les gens font quelque chose qui me fait mal, ce n’est pas parce qu’ils veulent me faire mal, c’est parce qu’eux ont mal. Quand j’ai réalisé ça, ma motivation a changé. Je n’avais plus rien à prouver aux autres. J’ai mon propre code de valeurs. Je ne me préoccupe pas de celles des autres. 

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De quoi es-tu le plus fier en 10 ans de carrière?
Je suis fier d’être un artiste libre. Sans le savoir, j’ai travaillé pendant 10 ans pour gagner ma liberté. Moi, je ne gagne pas ma vie avec l’humour. Je peux dire ce que je veux et je n’ai de comptes à rendre à personne. Je n’ai jamais rien promis à mes fans. Je dis ma vérité.

Quel projet a lancé ta carrière?
Je suis apparu de nulle part, et les gens ont eu l’impression que j’étais là depuis 10 ans. Je suis entre deux générations. Je suis arrivé dans le paysage culturel lors d’une année où la relève n’était pas encore foisonnante, et les vétérans levaient le nez sur les festivals. Ensuite, la nouvelle vague d’humoristes est apparue graduellement. Ces derniers croyaient que j’étais établi, alors que je faisais de l’humour seulement depuis deux ou trois ans. C’est certain que mes premières apparitions à la télé ont eu un impact sur ma carrière. Je me suis joint au groupe d’humoristes de la relève, car ils voyaient les choses de la même façon que moi.

Que retiens-tu de ton
one man show, Je t’aime, et de la vie de tournée?
J’aime faire de l’humour et présenter du nouveau matériel, mais je n’aime pas présenter 500 fois le même spectacle. Je ne prendrai pas ce chemin-là. Ce que j’aime, c’est créer du matériel.

Dirais-tu que tu es un humoriste qui ne fait pas de compromis?
Oui, on peut dire ça. Je suis un humoriste qui suit son cœur. Je sais que ça peut sonner cliché, mais je fais confiance à mon cœur. On t’a connu avec une grosse coiffure, mais tu portes maintenant les cheveux courts.

Désirais-tu changer d’image?
Oui. Mon image était devenue une prison. J’ai choisi la liberté en me coupant les cheveux. Et, en plus, j’avais décroché des rôles où je devais avoir les cheveux courts.

Tu devais te marier en 2019. Qu’advient-il de ce projet?
Je suis fiancé, mais pas encore marié. Tu seras le premier à le savoir quand ça arrivera. Ça, c’est mon vrai, vrai projet. 

Pour suivre ses activités: adibalkhalidey.com.

 
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