Kim Thúy travaille sur son prochain livre

Photo : Karine Levesque

Érick Rémy

2020-06-02T10:00:00Z
2023-10-12T22:56:50.540Z

La romancière Kim Thúy, habituée de s’isoler pour écrire, fait contre mauvaise fortune bon cœur. Cette pause forcée, alors qu’elle était déjà en semisabbatique, lui permet non seulement de façonner minutieusement son prochain ouvrage littéraire, mais aussi d’être encore plus près des siens.

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« Je profite du temps dont je dispose avec mes fils. À 18 ans, Valmond, qui est autiste, a encore besoin de nous. Mon conjoint et moi sommes heureux de pouvoir être avec lui 24 heures par jour. Justin, qui a 20 ans, est en droit à l’université, et c’est désormais de la maison qu’il fait ses études. J’aime l’entendre dans sa chambre quand il suit ses cours à distance. Quand il descend, je lui fais des lunchs. Comme il volera de ses propres ailes d’ici un an ou deux, j’apprécie pleinement ces moments», confie Kim Thúy.

Habituée de vivre en ermite lorsqu’elle est en période de création, elle peut avoir l’esprit tranquille durant cette quarantaine: les membres de sa famille et elle sont tous réunis sous le même toit. «Mes parents habitent la porte d’à côté de notre jumelé. Nous nous voyons tous les jours. Puisque mon fils et son père sortent parfois faire l’épicerie, pour nous protéger, nous gardons nos distances. C’est à mon frère, qui ne vit pas avec nous, que nous avons donné la mission d’acheter des aliments au marché asiatique. Il les livre à notre porte et nous nous assurons de bien les laver avant de les partager.»à

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 En raison de la COVID-19, qui a fait son apparition en Chine avant de se répandre, certains ont commencé à pointer du doigt la culture asiatique pour expliquer cette pandémie. Native du Vietnam, la romancière dit en avoir eu des échos. «Des gens de ma communauté me disent qu’ils vivent une forme de stigmatisation depuis le début de la pandémie. Chaque fois qu’un incident arrive, l’être humain a le réflexe de chercher un coupable. Ce virus ne fait pas de distinction entre les origines. 

En contrepartie, il y a beaucoup d’Asiatiques, plus particulièrement de Vietnamiens de ma génération, qui œuvrent dans le domaine de la santé au Québec. Pour moi, c’est un signe plus fort que tous les préjugés.» Face à l’adversité L’adversité, elle l’a bien connue. Les membres de sa famille et elles étaient des boat people. Ils ont fui la guerre au Vietnam après avoir vécu dans un camp de réfugiés en Malaisie et sont venus s’installer à Granby à la fin des années 1970. «On identifie le virus comme étant l’ennemi, mais en fait on est nos propres ennemis. On a beau répéter à tout le monde de se laver les mains et de garder ses distances, on n’arrive jamais à convaincre 100 % des gens. Cela devrait nous forcer à nous regarder nous-mêmes. Oui, on est privés d’être ensemble, d’aller au théâtre ou au cinéma, mais on dispose malgré tout de ce qui est essentiel», souligne-t-elle. D’aucuns craignent que le retour à la vie normale efface nos bonnes habitudes des dernières semaines, mais l’auteure croit qu’elles pourraient perdurer. «Si la situation dure encore un peu, elle permettra peut-être de faire table rase du passé. Car s’il est vrai que le naturel revient au galop, la question est: savoir quel est maintenant notre naturel? Travailler 12 heures par jour par souci d’efficacité ou vivre tel qu’on le fait depuis la pandémie? On travaille; on fait une sieste; on mange lentement; on retourne au travail... Les vies personnelle et professionnelle n’ont jamais été aussi fusionnelles. On fait des visioconférences avec des clients ou des collègues à partir de chez soi pendant que le chien aboie ou que les enfants crient. Pour moi, c’est ça, le naturel.» 

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Cette mère de jeunes adultes est convaincue que la génération montante va dans la bonne direction. «Les jeunes choisissent l’équilibre. Ils sont plus raisonnables qu’on le croit. Parfois, mon fils aîné et ses amis laissent leurs téléphones portables à la maison. Et bien qu’ils soient nés dans des familles privilégiées, ils achètent des vêtements usagés ou portent, comme Justin le fait, les vieux vêtements de leurs parents. La société de consommation, c’était celle de mon époque, pas la leur.» Kim Thúy voit dans le maelstrom actuel une formidable occasion de revoir nos priorités et de recadrer les rapports de forces entre l’écologie, la science et l’économie. 

«Ce virus est la goutte qui a fait déborder le vase. Les environnementalistes le disaient, et on le réalise enfin: il faut collaborer pour préserver notre seule planète. Les scientifiques de partout dans le monde n’ont jamais travaillé de façon si collaborative. Et les chefs d’État n’auront d’autres choix que de se parler pour relancer l’économie.» Très graduellement, nous devrions retourner à une forme de normalité. «La première fois qu’on pourra enfin sortir pour aller prendre un verre, ça sera tout un événement! Les soupers avec nos proches, dont certains auront peut-être échappé à la mort après avoir eu le virus, seront mémorables. On appréciera davantage ces moments qui, avant, étaient acquis», dit avec émotion l’écrivaine. 

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