Francine Ruel s'ouvre sur la relation d’aide complexe avec un enfant dans le besoin

Julien Faugère

Michèle Lemieux

2021-02-06T16:25:32Z

Francine Ruel a ému le Québec l’an dernier en partageant l’histoire de son fils qui vivait alors dans la rue. Touché par son récit, le public a manifesté sa compassion pour la mère et son fils. Un an plus tard, l’écrivaine a vécu des développements inédits: Étienne est sorti de la rue, mais rien n’est tout à fait gagné. Comme le dit si bien l’auteure: «Il est plus facile de tomber dans la rue que d’en sortir...»

• À lire aussi:
Francine Ruel donne des nouvelles de son fils, sorti de la rue depuis peu

• À lire aussi:
Francine Ruel révèle que son fils n'est plus en situation d'itinérance

Publicité

Madame Ruel, après nous avoir présenté Anna et l’enfant-vieillard l’année dernière, avez-vous un autre livre en chantier?
Oui, je suis à écrire un nouveau roman qui devrait s’intituler Le promeneur de chèvres et qui devrait être disponible l’automne prochain. C’est un roman post-pandémie qui soulève des questions. Quel aura été l’impact de la pandémie sur nos vies? Quels seront les dommages et les nouveautés découlant de cette crise? C’est un roman philosophique sur la passation des pouvoirs d’un monsieur d’un certain âge à son petit-fils. Je crois que, dans la vie, il faudrait toujours passer au suivant.

Y aura-t-il une suite à Anna et l’enfant-vieillard?
Non, mais il y aura une série télé. Ce n’est pas moi qui l’ai écrite. Je l’ai confiée à un scénariste, parce que je n’avais pas envie de faire du copier-coller et que je n’étais pas dans un état émotif approprié pour mener ce projet à terme. Mais le tout est basé sur mon roman. On abordera des facettes qui ne figurent pas dans mon livre. Il y a des choses que j’ai dû taire, pour toutes sortes de raisons. Je parle très peu de l’accident du jeune protagoniste, Arnaud, parce que ce n’était pas le sujet du roman (il était surtout question du chagrin de la mère et de la détresse du garçon) et parce que je n’avais pas non plus l’autorisation de mon fils pour le faire. Mais là, nous l’avons.

Puisque la situation actuelle accentue les problématiques liées à l’itinérance, le sujet vous semble-t-il plus pertinent que jamais?
Les statistiques démontrent qu’il y a 200 000 chômeurs pandémiques. Ces personnes ont perdu leur emploi et n’arrivent pas à en trouver un autre. Ceux qui n’arrivent plus à payer leur auto ni leur loyer, ils font quoi? Ils se retrouvent dans la rue. Ça peut arriver à tout le monde. Ça pourrait aussi nous arriver. Pour cette raison, nous devrions nous abstenir de porter des jugements sévères sur ceux qui sont dans la rue... Effectivement. Ces gens ne sont pas tous des paresseux, des drogués ou des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale! Personnellement, je pense que si je me retrouvais dans la rue, j’aurais des problèmes de santé mentale, même si je n’en ai jamais eu avant. Même ceux qui se droguent ont d’abord eu un problème. Quelque chose est survenu dans leur vie et ils n’ont pas eu la force de traverser l’épreuve qui a suivi. Depuis la sortie du livre, j’ai entendu plusieurs témoignages de parents qui vivent des problèmes avec leur enfant, qu’il soit dans la rue ou non. C’est très dur pour un parent de refuser les demandes d’argent de son enfant pour payer son loyer. Mais quand on accepte, on ne l’aide pas à se prendre en main. 

Publicité

Photo : Julien Faugere
Photo : Julien Faugere



• À lire aussi: Francine Ruel révèle que son fils participera à la série télé inspirée de son roman

Est-ce un processus que vous avez eu à faire?
Oui, mais il est à refaire chaque jour. Ce n’est pas parce que je l’ai déjà fait que c’est acquis. Il faut continuer à tenir tête à son enfant. Des parents m’ont dit vouloir aider le leur parce qu’il allait mieux. Mais s’il va mieux, ce n’est pas nécessaire de l’aider. Présentement, je suis dans un processus très difficile... Mon fils est sorti de la rue en septembre dernier.

Quel a été l’élément déclencheur pour le convaincre d’en sortir?
Sa rédemption vient du fait qu’il a lu le roman et qu’il a collaboré à la série. Ç’a été sa décision. Il a eu des rencontres avec le scénariste, qui a été suffisamment ouvert pour l’écouter. Mon fils est articulé. Il a raconté la rue. Il s’est réapproprié son histoire. J’ai écrit ce roman parce que je voulais qu’il sache à quel point il est un garçon formidable, et qu’il devait se reprendre en main. Je veux juste qu’il soit heureux dans la vie. Il a vécu un moment fulgurant. Il était ici, avec moi, quand il a décidé qu’il ne passerait pas l’hiver dans la rue. Il a décidé qu’il lui fallait un appartement. Mais ça n’est pas simple... Les propriétaires ne veulent pas de sans-abris comme locataires. Je lui ai proposé d’avoir d’abord une chambre. Cela semblait plus facile et plus abordable.

• À lire aussi: Francine Ruel rappelle l'importance de donner aux sans-abris

Il a donc réussi à en avoir une?

Oui, des gens l’ont aidé, nous ont aidés. Avec sa petite pension de victime d’acte criminel, il arrive à se payer cette chambre. On verse peu d’argent à ces gens. Je lui apporte de la nourriture, des manteaux d’hiver, des bottes..., sinon il n’y arriverait pas. Il compte sur moi. Je l’aide, mais ce n’est pas ce qu’il faut faire. Il faut dire non. Moi, je veux pour lui, mais il doit aussi vouloir pour lui. C’est la partie la plus difficile: accompagner sans faire les choses à la place de l’autre. Parent un jour, parent toujours. J’ai mis un enfant au monde. J’ai été là pour lui et je continue de l’être. J’ai réalisé que je faisais les choses à sa place, que je prenais les décisions à sa place, que je posais des gestes à sa place. Je suis une indécrottable optimiste. C’est si facile pour moi de trouver des solutions... 

Publicité

Photo : Julien Faugere
Photo : Julien Faugere



Est-ce que le fait de ne pas aider son enfant qui se trouve dans une situation de fragilité fait naître un immense sentiment de culpabilité?
Oui, on a l’impression de ne pas être une bonne personne. On pourrait aider, mais comme ma psy me l’a fait comprendre, il faut fermer le robinet. Ça n’aide pas d’agir à sa place. Tous les parents que j’ai entendus aident leur enfant. Il faut se répéter chaque jour que non est une phrase complète. Ne pas dire non n’aide pas notre enfant, ça favorise la dépendance. Une étude a démontré que les gens qui consomment très jeunes, vers l’âge de 13-14 ans, vivent avec des neurones brûlés de manière définitive. Ce sont celles qui sont responsables des prises de décisions, du sens des responsabilités. Parfois, on trouve que des adultes se comportent comme des adolescents. Leurs cellules sont brûlées...

Votre fils est-il accompagné pour sortir de la rue et reprendre une vie quasi normale?
Il a accès à des ressources, mais il ne les utilise pas encore. C’est là que le bât blesse, c’est là que c’est difficile. Il y a énormément de ressources, mais encore faut-il les utiliser... Nous l’avons installé en chambre, nous lui avons donné des trucs, nous avons favorisé sa prise en charge. Maintenant, c’est à lui de prendre le relais. Ce pas est franchi, mais ça ne s’arrête pas là. Vivre, c’est se retrousser les manches et faire face à la pandémie, au manque d’argent et à tout ce qui nous pend au bout du nez.

• À lire aussi: «Il y a des enfants qui n’ont pas envie de vivre...»

En tant que mère, ça doit au moins être rassurant de penser que votre fils a franchi cette immense étape en sortant de la rue.
Oui, c’est un grand pas de fait. Parfois, je suis impatiente, je voudrais que les choses se fassent rapidement, mais ça va prendre du temps. Mon fils est lent. Nous n’avons pas le même rythme ni la même manière de penser ou d’agir. Il a pris des chemins de traverse qu’aucun parent ne souhaite pour son enfant. Ça faisait peur, c’était inquiétant, dangereux, traumatisant. Mais il faut laisser son enfant faire son chemin. Ça, pour moi, c’est acquis. Je me dis qu’il fallait que mon fils passe par là pour trouver une place qu’il ne soupçonne même pas, mais il va s’y rendre. Entre-temps, il a au moins un toit... Cet été, il m’a raconté qu’il était allongé sur son lit et que, dehors, il pleuvait à verse. Il s’est mis à rire. Il était en dedans et il n’allait pas se faire mouiller... Il appréciait le fait qu’il pleuve alors qu’il était au chaud. Sortir de la rue permet de se doucher, de se faire réchauffer une soupe, de dormir au chaud. Être en chambre, c’est être en sécurité, ne pas avoir peur de se faire voler ou de perdre ses choses. Nous avons franchi une étape, mais nous n’avons pas encore atteint le but. Je m’initie à la patience. Je reste ouverte et je fais confiance. Il est vivant, c’est donc encore possible.

Maintenez-vous le contact avec votre fils?

Oui, parfois plus, parfois moins. Ça dépend des périodes. Récemment, il voulait que nous nous voyions pour Noël... J’ai été des années sans savoir où il était, ce qu’il vivait à Noël, au jour de l’An, à la fête des Mères, pour mon anniversaire... Je n’avais pas de nouvelles. Il était libre pour le temps des fêtes cette année, mais avec la covid, nous ne pouvions pas nous voir ou nous réunir.

Que lui souhaiteriez-vous?

Il aide énormément les gens, on le respecte, il est bienveillant, il a de l’écoute. Comme il sait de quoi il parle, on lui suggère de devenir travailleur de rue. Pour ça, il doit entreprendre une démarche. Il n’est pas encore prêt. Peut-être va-t-il se rendre quelque part où il sera heureux, où il donnera du bonheur aux gens et où il s’en donnera... ou peut-être ne s’y rendra-t-il jamais.

Vous reste-t-il de l’espoir?
Oui, parce qu’il est encore en vie. Des parents m’ont dit que leur enfant était mort. Eux, ils n’ont plus d’espoir; c’est terminé. C’est dur, ça fait mal, c’est inquiétant...

Que souhaitez-vous pour l’avenir?
L’année 2020 a été une année de merde qui nous aura permis de comprendre certaines choses sur nos comportements, sur la précarité de la vie. Nous nous rendons compte que nous ne sommes pas éternels et que nous n’aurons pas toujours ce que nous avons toujours eu par le passé. Tout est fragile. Mes amis, mes lecteurs m’ont manqué. Mais à travers tout cela, je me considère comme chanceuse. Maintenant, il faut apprécier ce qu’on a. Chez nous, nous vidons les armoires et les placards. Nous avons trop de choses. Nous donnons à un organisme qui les redistribue à ceux qui en ont besoin. Ça m’allège et ça aide des gens. Je trouve ça formidable! Quand on y pense, nous avons trop tandis que d’autres n’ont rien. C’est à eux qu’il faut donner. Donner au suivant, c’est important. J’espère que plusieurs ont retenu cette leçon d’entraide...
 

Publicité

Le roman Anna et l’enfant-vieillard est publié par les Éditions Libre Expression. Le promeneur de chèvres sera disponible à l’automne 2021.

À VOIR AUSSI: 15 papas marquants de la télé québécoise

Publicité

Sur le même sujet