30 ans déjà depuis la première diffusion de «Les Filles de Caleb»

Photo Courtoisie

Marie-Josée Roy

2020-10-18T19:31:22Z

C’était il y a 30 ans, le 18 octobre 1990. Le Québec faisait connaissance avec une jeune institutrice fougueuse du nom d’Émilie Bordeleau et son élève, le ténébreux Ovila Pronovost, se passionnant aussitôt pour leurs amours enflammées et déchirées. Trois décennies plus tard, le coup de foudre avec Les Filles de Caleb perdure.

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Les lecteurs avaient d’abord craqué pour le best-seller de l’écrivaine Arlette Cousture, paru en deux tomes en 1985 (Le chant du coq) et en 1986 (Le cri de l’oie blanche), adapté ensuite à l’écran par l’auteur Fernand Dansereau et le réalisateur Jean Beaudin. 

Fresque ambitieuse

L’ambitieuse fresque, tournée sur presque deux ans en Mauricie (Saint-Jean-des-Piles) aura révélé quantité de talents, Marina Orsini (Émilie) et Roy Dupuis (Ovila) en tête. 

«Ça reste une série à laquelle je suis très attachée, et dont je suis extrêmement fière. Les semaines où on ne m’en parle pas sont assez rares. Chaque fois que ça repasse, les gens l’écoutent», confie Marina Orsini en entrevue. 

«Les Filles de Caleb, tu peux le regarder aujourd’hui, et penser que ç’a été tourné il n’y a pas si longtemps, par rapport à la qualité des décors, des costumes, de la réalisation, de la musique, du scénario... C’est une série qui vieillit extrêmement bien. Et ça, ce n’est pas évident, pour n’importe quel projet», ajoute l’actrice, qui avait quand même un peu de métier derrière la cravate (Lance et compte, La grenouille et la baleine) lorsqu’elle a endossé les robes longues d’Émilie, à l’invitation de Jean Beaudin, qui l’avait déjà dirigée dans L’or et le papier

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Un tournage de 190 jours, une série vendue dans une trentaine de pays à travers le monde, un personnage incarné de l’âge de 18 à 60 ans (si on compte ses scènes dans Blanche, la suite des Filles de Caleb), un budget d’environ 900 000$ l’épisode (tourné en huit ou neuf jours chacun, ce qui équivaut au double des séries tournées aujourd’hui), une intrigue qui aura aidé plusieurs immigrants à découvrir l’histoire du Québec: Marina Orsini sait qu’elle ne revivra pas de sitôt un projet de l’envergure des Filles de Caleb

Normand Pichette / Le Journal de Montreal
Normand Pichette / Le Journal de Montreal

Il lui arrive même, parfois, de croiser des gens dans la trentaine, qui ont jadis joué ses enfants lorsqu’ils étaient tout petits. 

«On l’a vécu intensivement, et ç’a été magique. On sentait qu’on portait quelque chose de spécial, d’important. Ce personnage m’a permis de plonger dans plusieurs zones, comme actrice. De la maternité au deuil, à l’amour, la joie, la peine, la colère, la désillusion, la déception... C’était un magnifique personnage, un magnifique duo, une magnifique histoire d’amour. Les gens ont reconnu notre histoire, leurs mères et leurs grands-mères, nos hivers canadiens», relate celle qui conçoit bien «l’impossibilité» de la liaison brûlante entre Émilie et Ovila. 

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«Ça ne devait pas être facile d’avoir une famille de 12 ou 18 enfants, avec un père qui devait partir draver pendant des mois, et ne revenait qu’une fois ou deux par année. C’était ça, la vie, aussi. Et Ovila était un rebelle, une bête de la nature. L’époque était très difficile», philosophe Marina Orsini.

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«Fulgurant» pour Roy Dupuis

«C’est le 18 octobre 1990 que ma vie a changé. Du tout au tout! Ç’a été assez violent, comme changement», lance Roy Dupuis du tac au tac, lorsqu’on lui rappelle la première date de diffusion des Filles de Caleb

Le jeune acteur était dans la mi-vingtaine. Il vivait au carré Saint-Louis et n’était essentiellement connu que par le milieu du théâtre. Il n’avait terminé ses études en jeu que depuis quelques années. Son Ovila Pronovost l’a rapidement familiarisé avec la reconnaissance populaire. 

«Ç’a été assez évident, le lendemain du premier épisode, quand je suis allé chercher mon pain au dépanneur [Rires]. On avait presque quatre millions de cotes d’écoute; 80% de la population du Québec écoutait Les Filles de Caleb. Ç’a été fulgurant. À partir de là, il a fallu que je vive différemment...» 

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Le comédien a pourtant failli passer à côté de cette cruciale rencontre professionnelle. Alors attendu à Paris, par un metteur en scène français qui montait Haute surveillance, de Jean Genêt, il s’est néanmoins laissé convaincre par Jean Beaudin de passer une audition pour la série historique. 

«J’ai lu les scènes avec Marina. Je n’ai même pas pris le temps d’apprendre les textes. Après, Jean m’a emmené voir le développement technique: les maquettes, les costumes... Je me souviens qu’il m’a dit : "Du théâtre, tu vas pouvoir en faire n’importe quand. Tandis que, ça..."», raconte Roy. 

Une rangée de «pour» et de «contre» plus tard, la romance Émilie-Ovila prenait le pas sur Genêt dans le cœur de Roy Dupuis. 

Jacques Bourdon / Le Journal de Montreal
Jacques Bourdon / Le Journal de Montreal

«Juste l’écriture était particulière. Elle avait sa musique, sa langue à elle. Fernand Dansereau avait fait un travail remarquable. Et l’histoire, le fait de partir un personnage à 16 ans et de l’emmener à 50 ans... Quand j’ai lu cette histoire, j’avais l’impression qu’on avait déjà couvert cette période à la télé – dans Le temps d’une paix, par exemple –, mais il y a avait une violence, une intensité, une espèce de cruauté que je n’avais jamais vues ailleurs, dans Les Filles de Caleb, qui n’avaient jamais été racontées de cette façon-là.» 

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Sans compter tous les apprentissages acquis aux côtés de camarades aguerris, comme Marina Orsini, Germain Houde, Pierre Curzi, Véronique Le Flaguais, Johanne-Marie Tremblay et autres, ajoute Roy Dupuis. 

L’adorable Jean Beaudin

Décédé en mai 2019, Jean Beaudin n’aura hélas! pu célébrer avec son équipe l’anniversaire de 30 ans des Filles de Caleb. Mais le souvenir du cinéaste demeure bien présent dans l’esprit de ses protégés. Tous interviewés pour ce reportage, Marina Orsini, Roy Dupuis, Véronique Le Flaguais, Nathalie Mallette et Jessica Barker n’ont, encore aujourd’hui, que de tendres mots à partager à l’égard de leur mentor. 

«Jean, je sentais qu’il m’aimait, se remémore Roy Dupuis. C’était évident. À un moment donné, il m’a pogné par le collet et m’a dit : "Ça fait 25 ans que j’attends un acteur comme toi!" Ç’a été l’un des plus beaux compliments qu’on m’a faits.» 

«Lors de mon audition [pour le rôle de Berthe, NDLR], Jean m’a dit: "Mais d’où tu sors?", s’émeut Nathalie Mallette. Je m’en souviendrai toujours. C’était vraiment beau... Il m’a pris la main, m’a emmenée dans le couloir et a crié: "On a trouvé Berthe!" Ç’a été l’une des auditions les plus magiques que j’ai passées.» 

Même son de cloche du côté de Jessica Barker. 

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«C’est Jean Beaudin qui a créé tout l’univers des Filles de Caleb. Il avait une vision. Chaque fois qu’on se croisait, il me prenait dans ses bras et me disait: "On a fait de belles choses, ensemble..." On voyait qu’il était fier de sa série, même 25 ans après. Je suis certaine que ça l’a habité jusqu’à sa mort, l’année dernière», s’attendrit l’interprète de la petite Charlotte. 

Des cotes d’écoute faramineuses   

À ce jour, les 20 épisodes des Filles de Caleb, diffusés d’un trait entre octobre 1990 et février 1991, demeurent l’un des plus grands succès d’écoute de tous les temps sur ICI Radio-Canada Télé, devancés par des épisodes de La petite vie ou le Bye Bye. Au sommet de sa popularité, le 31 janvier 1991, l’émission était regardée par 3 664 000 téléspectateurs, selon les cahiers BBM de l’époque. 

Les meilleures mémoires se souviendront que restaurants et supermarchés étaient souvent vides à l’époque, le jeudi soir, alors que la province entière avait les yeux rivés sur les Bordeleau-Pronovost et leur trâlée d’enfants, et que Bernard Derome s’était presque excusé en ondes, en janvier 1991, lorsqu’il avait dû interrompre un épisode des Filles de Caleb pour un bulletin spécial sur la guerre du Golfe. 

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Elles ont dit...   

Marina Orsini: «Mon fils, Thomas, n’a jamais regardé la série. Peut-être qu’il arrive à l’âge où ça pourrait l’intéresser. Il en a entendu parler, il a vu des images, des photos, mais il ne l’a encore jamais vue...» 

Nathalie Mallette: «Berthe était proche de ma nature. Ce n’était pas un personnage de composition. C’était un personnage résigné, contrairement à Émilie, qui était flamboyante, qui avait des désirs d’amour et de passion. Berthe, elle, s’est enfermée jusqu’à en mourir.» 

Véronique Le Flaguais: «Je n’avais fait que de la comédie, et je trouvais ça vraiment bizarre qu’on pense à moi pour le rôle de Félicitée [la mère d’Ovila, NDLR]. Je n’ai jamais compris pourquoi je l’ai eu! [Rires] Dans le texte, c’était clair que c’était une femme qui ne l’avait pas eue facile... Je l’ai faite douce, je la voyais comme ça.» 

Jessica Barker: «Je ne me tannerai jamais de parler des Filles de Caleb. La nostalgie est tellement intense chez les Québécois, ils devraient tellement mettre Les Filles de Caleb à la télé en ce moment... C’est tellement une série qui n’a pas vieilli. Même au niveau du jeu et du rythme, il y avait quelque chose de magnifique.»

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