Laurence Jalbert explique pourquoi elle a choisi de parler de son expérience de violence conjugale

Photo : Bruno Petrozza / Les Pu

Michèle Lemieux

2021-07-14T18:19:33Z

Le printemps dernier, Laurence Jalbert a ému le Québec en dévoilant avoir été victime de violence psychologique. Avec la sincérité et l’humilité qui la caractérisent, la chanteuse s’est libérée d’un lourd fardeau pour guérir de la honte qu’elle ressentait et faire en sorte que d’autres femmes s’extirpent de relations malsaines qui pourraient mener au pire. Laurence en sait quelque chose, car n’eût été son grand attachement à sa famille, elle aurait pu commettre l’irréparable...

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Laurence, quels projets occuperont votre été?
Je suis porte-parole de la tournée du ROSEQ, qui comprend six régions; j’ai donc plusieurs shows au programme. De la mi-juillet à la mi-août, je serai partie pendant 25 jours consécutifs. C’est une tournée d’été, de gens en vacances et de spectacles présentés dans de petites salles. C’est un bonheur de renouer avec le public. Nous en avons tous véritablement besoin. Un spectacle, c’est un partage entre êtres humains et ça nous a sérieusement manqué... Provoquer des frissons et en ressentir soi-même, c’est ce qui nous rappelle qu’on est en vie...

Vous sentez-vous prête à reprendre l’écriture de chansons?

Avec ce que j’ai dénoncé récemment, c’est-à-dire la violence psychologique, ça fait partie du début de ma guérison. Le goût d’écrire me revient. Une partie de mon cœur était complètement fermée, endurcie. Je l’avais cousue avec une corde de bateau. Ça fait maintenant plusieurs années que je ne suis plus avec cet homme, mais ce que j’ai vécu m’habite encore. Un jour, ça m’a éclaté au visage: tout ce que j’avais caché, que je n’avais pas nommé, que je ne voulais pas raconter s’était incrusté dans mon corps. Il fallait que je ferme mon cœur parce que c’était trop souffrant. Avant, je me censurais constamment. Cette partie nécessaire à l’écriture qui permet de contacter mon essence, mon âme, j’ai commencé à la recoudre et je renoue avec le désir d’écrire.

Vous avez fait une sortie publique sur ce que vous avez vécu, et les gens ont été extrêmement touchés par votre histoire. Était-ce réconfortant de les sentir derrière vous?
Oui, complètement. J’ai reçu des tonnes de messages! Certaines femmes m’ont dit qu’elles risquaient leur vie en m’écrivant. J’ignorais par contre à quel point elles étaient touchées par cette situation. Si j’ai fait cette sortie publique, ce n’était pas pour me plaindre. C’était pour dénoncer cette violence que j’ai vécue et que beaucoup de femmes vivent. À la suite de mon message, SOS violence conjugale a reçu des tonnes de demandes d’aide, particulièrement pour la violence psychologique et la cruauté mentale. 

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Diriez-vous que c’est une violence plus subtile, moins visible?

Oui, c’est plus subtil, mais c’est de la démolition totale! Celles qui en sont victimes vont parfois jusqu’à mettre fin à leurs jours... Rien ne paraît à l’extérieur, mais la honte détruit. Mon ex-conjoint a souvent levé la main sur moi, sans jamais me frapper. Il voulait préserver son image de bon gars. Il me faisait du mal par en dedans, faisait tout en son pouvoir pour me démolir, me détruire, m’effacer, m’éteindre.

Qu’est-ce qui vous a donné la force d’en parler?

C’est en songeant à mes petites-filles Romy, Édith et Dali, et à mes petits-fils Noah et Éli que j’ai brisé le silence, parce que les hommes aussi peuvent en être victimes. Je veux que ces comportements soient mieux connus pour qu’aux premiers signes de violence, les femmes puissent partir. Il faut s’en aller, se sauver, ne pas rester dans la relation.

Au début, avez-vous dédramatisé les comportements inappropriés de votre conjoint?

J’étais en relation avec un pervers narcissique, ce qui est un trouble de la personnalité. Ce n’est pas tant que je les dédramatisais, mais ses comportements étaient tellement surréalistes! Il faisait des scénarios dans sa tête et affirmait que j’avais dit des choses que je n’avais pas dites. Dans ma relation avec lui, j’étais toujours en terrain miné. Je ne savais jamais sur quel pied danser ni quel mot allait provoquer sa colère. Je finissais par douter de moi et par croire que c’était moi, le problème. Je me disais que je ne pouvais pas raconter ça à qui que ce soit, parce qu’on n’allait pas me croire... 

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Des gens autour de vous étaient-ils au courant?

Je parlais parfois à ma sœur ou à ma fille. Ma sœur a vu ma détresse. Parfois, quand j’étais totalement en larmes, elle voulait venir me voir, mais son mari lui suggérait de ne pas s’en mêler, car il craignait la réaction de mon conjoint. Il savait que j’allais payer la note. Mon fils aussi voyait des choses. Un jour, je lui avais demandé comment il faisait pour rester aussi patient et ne pas réagir, et il m’avait dit: «Maman, je ne dis pas un mot, parce que je sais que c’est toi qui vas payer pour...» Il a 25 ans aujourd’hui. C’est un homme calme, doux, pacifique. Je l’ai toujours dit: c’est une vieille âme. Je constate que mes deux enfants (sa fille, Jessie, et son fils, Nathan) se sont bâtis et ont trouvé leur chemin à travers ce que je ne leur ai pas donné. Chez nous, ce n’était pas harmonieux... Mon ex-conjoint n’est pas né colérique, impatient, intolérant, méchant. Il l’est devenu. Mon fils aurait pu reproduire ce pattern, mais il a choisi de ne pas le faire. Au moins, j’ai été une maman à l’écoute. J’ai offert à mes enfants de consulter. 

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Photo : Bruno Petrozza / Les Pu
Photo : Bruno Petrozza / Les Pu

À quel moment avez-vous senti que quelque chose ne tournait pas rond dans cette relation?
Dès le début, je l’ai senti, mais c’est comme si une toile avait été tissée autour de moi. Je m’isolais de plus en plus, et lui, de son côté, éloignait les gens autour de moi. Il a presque réussi à éloigner ma sœur, que j’adore et qui m’adore... Mon frère, qui est un homme de peu de mots, ne se laissait pas impressionner. Avec le temps, je me suis rendu compte que mon conjoint était toxicomane. J’étais sous le choc. Je ne pouvais pas comprendre... Je me suis dit que nous allions travailler ensemble et arriver à régler cette situation.

Malgré cela, vous avez décidé de rester?

Oui, parce que j’étais tombée amoureuse de cet homme. Il n’était pas que méchant et violent. Il avait aussi un côté humain, mais en quelques secondes, il pouvait se transformer en monstre. Dès les premières années, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de malsain dans notre relation. Lors d’un premier dîner avec deux de mes grandes amies, je leur ai présenté mon conjoint. Ce sont deux filles brillantes, allumées. Quand il s’est levé pour aller aux toilettes, l’une d’elles m’a demandé: «Est-ce qu’il te bat?» Elles trouvaient toutes deux qu’il y avait quelque chose qui clochait chez lui. J’aurais tellement dû les écouter! Mes amies se sont éloignées. Heureusement, elles sont revenues entre-temps. Ensuite, ç’a été un engrenage. Pour moi qui avais tout vu dans la vie, c’était quelque chose de tellement nouveau que je ne savais pas comment négocier avec ça.

Avec le temps, les choses ne se sont sûrement pas améliorées...

Effectivement. Par la suite, j’ai été prisonnière de la relation. Je ne me sentais plus capable d’en sortir. J’étais à terre... Tout ce que je voulais, c’était ouvrir la porte du camion et me lancer en bas... (Laurence marque un temps d’arrêt, émue.) Je ne voulais pas laisser mes enfants seuls. Le père de ma fille n’est pas là. Je ne pouvais pas partir... Je me suis accrochée à ça. Ma vie n’avait plus aucun sens. J’étais une comédienne; je jouais en permanence, parce que j’étais démolie. Je mentais tout le temps: à ma famille, à mes enfants, à moi-même. C’est ce que raconte le texte Les cuillères dans le congélateur. Tant que j’ai été avec cet homme, j’ai pleuré tous les jours de ma vie. Je voudrais tellement éviter aux femmes de se rendre jusque-là. C’est mon souhait le plus sincère. 

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Qu’est-ce qui vous a donné la force de mettre fin à cette relation?
C’était une question de vie ou de mort. Un événement m’a beaucoup fait réfléchir: la mort d’un de mes amis. Je savais qu’il était parti avec des regrets. Je me suis demandé dans quel état, moi, je voulais partir. Un soir, avec mon conjoint, notre conversation est devenue explosive. Encore une fois, il m’a crié dessus et m’a dit que je n’avais qu’à crisser mon camp... Pour la première fois, j’ai répondu oui. Ça lui a scié les jambes. Il a levé le poing sur moi, j’ai pris mon téléphone et lui ai dit de ne même pas essayer de me toucher. C’est comme ça que j’ai eu la force et le courage de sortir de cette relation. 

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Y a-t-il eu des représailles de sa part?
Il m’a envoyé des messages de bêtises... Je ressentais tellement de honte. Je travaille encore là-dessus. J’ai des appuis et je reçois l’aide d’une thérapeute extraordinaire, une psy spécialisée dans le domaine.

A posteriori, comment expliquez-vous le fait d’être restée aussi longtemps dans cette relation?

C’est une question qui revient souvent. Je ne pourrais même pas y répondre... Si je n’avais pas vécu cette situation, j’aurais probablement porté des jugements sur une personne comme moi. La violence conjugale est plus sournoise et compliquée que les gens peuvent l’imaginer. Par exemple, il cherchait à éloigner mes musiciens de moi. Quand je l’entendais raconter ce qu’ils disaient supposément à mon sujet, mon monde s’écroulait. Il a même prétendu que mon père avait dit certaines choses sur moi avant de mourir... Sa méchanceté atteignait un niveau innommable. Et c’est sans compter les insultes dont il m’abreuvait. Je n’arrive même pas à dire à voix haute ces choses qu’il m’a dites... Des choses affreuses et d’une telle méchanceté! Il a presque réussi à convaincre mon entourage que j’étais une alcoolo, une folle finie, que personne ne m’aimait. Il me remettait constamment en question. Mon estime de moi était à moins 1000.

Arrive-t-on à reconstruire son estime de soi avec le temps?

Aussitôt que j’ai pris le téléphone pour demander de l’aide, le processus s’est amorcé. Quelque chose s’est ouvert en moi. Les premiers jours, après avoir appelé SOS violence conjugale et crevé l’abcès, j’ai tellement pleuré! À l’intérieur de moi, ça a explosé! J’avais réalisé que je ne pouvais plus continuer comme ça. J’ai été malade dans cette relation. J’étais avec lui depuis un moment quand j’ai découvert souffrir de fibromyalgie. Je n’arrivais plus à bouger. J’ai aussi fait une dépression majeure. Aujourd’hui, je chante, je ris, je crie, je saute, je danse. Je m’amuse! Je laisse s’exprimer la petite fille en moi, la Laurence que j’étais. Non seulement je n’avais plus confiance en moi, mais je n’avais plus confiance en qui que ce soit. 

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Votre expérience vous rend-elle vigilante face aux hommes?
Je ne veux personne dans ma vie. Je n’arrive pas à faire confiance. Honnêtement, je ne suis pas rendue là, mais j’ai bon espoir que ça se replace. Pour l’instant, je suis heureuse avec moi-même et avec ma famille. C’est ma priorité. Lorsque je serai guérie et que je pourrai présenter la meilleure version de moi-même, nous verrons.

Quel message voudriez-vous livrer aux femmes victimes de violence?

Je voudrais que le plus de femmes possible se reconnaissent à travers mes propos. Ce n’est pas ça, l’amour! Allez-vous-en! J’ai rencontré la vicepremière ministre et la ministre de la Condition féminine qui voulaient entendre mon histoire et qui veulent mettre les sous aux bons endroits pour que les choses changent. Une autre femme est morte récemment. Une treizième. Il faut que ça arrête. Le comportement des hommes doit changer. À celles qui vivent cette situation, je suggère de contacter SOS violence conjugale. J’y ai été accueillie avec bienveillance. La plus belle phrase que j’ai entendue, c’est: «On vous croit, Madame.» Après avoir pensé que personne n’allait me croire, on me disait enfin qu’on me croyait... 

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Laurence Jalbert est porte-parole de la tournée du ROSEQ.
On s’informe sur le site de Laurence au laurencejalbert.com ou roseq.qc.ca

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