Èlise Guilbault s'ouvre sur ses insécurités

Karine Lévesque

Pascale Wilhelmy

2020-04-15T12:00:00Z
2023-10-12T23:34:53.906Z

Depuis longtemps, elle multiplie les rôles marquants qui touchent le cœur des Québécois. Mais Élise Guilbault l’avoue: elle reste une grande insécure. Sans doute un élément qui fait son succès, car elle veut toujours avancer, aller plus loin. On la retrouve actuellement dans Mon fils, où elle incarne une mère qui fera tout — trop même — pour aider son garçon atteint de schizophrénie. Rencontre avec une femme à la fois fragile et forte, mais surtout généreuse.  

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Élise Guilbault a plus de 30 ans de métier. Elle fait partie des actrices les plus talentueuses et les plus appréciées du Québec. Durant la rencontre, elle ne tarit pas d’éloges pour tous ceux avec qui elle a travaillé récemment. À la limite, on pourrait avoir l’impression qu’elle préfère parler d’eux que d’elle- même. Pourtant, l’actrice a beaucoup à raconter sur ses projets, sa carrière et le temps qui passe...  

Élise, nous pouvons désormais te voir dans la nouvelle série Mon fils...
Oui, et c’est fort comme série. Ça va certainement sonner des cloches chez bien des gens, parce que c’est une his- toire on ne peut plus réaliste qui touche les membres d’une famille on ne peut plus normale. Mais, un jour, le ciel leur tombe sur la tête quand le diagnostic de schizophrénie tombe de façon abso- lument inattendue. Il y a un élément déclencheur, bien sûr, mais il n’y avait pas de signes précurseurs. Quand ce genre d’histoire arrive, parfois, ça arrache tout. Et c’est exactement ce qui se produit dans la série. C’est une situa- tion inimaginable et inacceptable.  

Tu incarnes la mère de ce jeune homme qui doit faire face à la dure réalité...
Oui. Et ce dont je me suis rendu compte en tournant cette série — et en m’infor- mant, aussi —, c’est que l’amour ne suffit pas. On peut très bien imaginer que c’est une situation très, très difficile à accepter pour les parents. Ça ne se peut presque pas. Ça me fait penser à une phrase que j’avais entendue: «C’est comme si on demandait à quelqu’un de regarder le soleil sans cligner des yeux.» C’est exactement ce qui arrive. Ça nous oblige à faire face à quelque chose d’insoutenable.

Cette mère va tout faire pour soutenir son fils, non?
Elle va se démener pour le sauver, à un point tel qu’elle va risquer de briser le lien qui les unit et de le perdre. Quand on prend soin de quelqu’un qui est dans les bas-fonds comme ça, il y a un moment où on se tourne vers des trucs insensés. C’est un peu ce que mon personnage fait.  

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As-tu tenté de rencontrer des familles ou de recueillir des témoignages de parents pour ton rôle?
Deux personnes qui sont assez près de moi ont vécu ce genre de situation et ont dû s’en remettre à des étrangers et leur dire: «Peut-être que vous pouvez le sauver.» Parce que, justement, l’amour ne suffit pas. Il faut des soins très particuliers pour les aider. Antoine L’Écuyer, qui joue mon fils, est allé vraiment très loin. Il a rencontré des gens malades, des psychiatres, des gens en clinique... C’est sûr que je me suis rapprochée de ce milieu, mais jamais autant que lui.  

L’écriture me dictait ce que je devais être comme mère. Je suivais l’histoire, qui était très précise, et je me référais au texte qui me servait d’échelle de Richter pour mesurer l’intensité des crises, pour savoir quel tremblement de terre m’attendait. Avec des auteurs comme Anne Boyer et Michel d’Astous, je peux me laisser guider. Ils ont une telle attention par rapport aux soubresauts de l’humanité, ils sont tellement près du public... Ils ont le respect de la vérité, ce qui fait leur succès. Bien sûr, ça demeure une fiction, mais très souvent, on remarque que les gens s’identifient énormément à ce qu’ils écrivent. Au bout du compte, ça donne une série qui a une résonance.

Avec Mon fils, as-tu senti une volonté de briser les tabous, d’engager des conversations?
Bien sûr. Et c’est possible que des gens qui regardent la série se sentent moins seuls. Qu’ils se disent: «C’est exactement ce qu’on a vécu.» Ces auteurs ont tendance à rallier les gens autour de phénomènes de société. Je me souviens que dans Yamaska, nous avions fait une marche contre le suicide.  

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Ça me plaît, ce genre d’engagement. Il y a longtemps, Janette Bertrand m’avait dit: «Dans ta carrière, sois toujours vigilante. Ne va pas nécessairement là où il n’y aura que du divertissement. Va aussi là où il y aura un questionnement.»  

Anne Boyer, Michel d’Astous et toi avez une relation à long terme. Ils font souvent appel à toi pour leurs séries, non?
Il y a 30 ans, j’ai joué dans une pièce de Michel qui s’appelait Les dernières fougères. Depuis, il y a eu 2 frères, puis Yamaska. C’est toujours un bonheur renouvelé de travailler avec eux. Il m’est même arrivé de ne pas lire le scénario et d’embarquer spontanément dans un projet. Quand Anne me raconte ses histoires, elle est enthousiaste. Et je sais qu’on va avoir un bon texte et de belles conditions de travail. Ils ont du cœur et du respect pour les artistes.  

La série est réalisée par Mariloup Wolfe...
Je l’ai tellement aimée! D’abord, elle est de l’énergie brute sur un plateau. Elle apporte beaucoup de fraîcheur et elle voit juste. Elle a créé sa signature. Elle était particulièrement sensible à cette histoire et aucunement impressionnée par le fait que je fais ce métier depuis 35 ans! On s’est retrouvées toutes les deux. Elle dirige vraiment et elle se soucie de savoir si on est confortable. Souvent, elle m’a fait dévier d’une voie que j’aurais pu emprunter et m’a menée ailleurs. Je me suis vue faire des choses auxquelles je n’avais pas pensé. C’est le fun qu’un œil nouveau se pose sur nous quand ça fait un bout qu’on travaille!
  

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C’est bon de se faire amener plus loin.
C’est une fille qui donne beaucoup de commentaires. C’est très rare qu’elle va dire: «Merci, c’était ça.» On la sent présente, avec beaucoup d’affection et d’attention. C’était la première fois que je travaillais de près avec une femme réalisatrice. Il y avait une espèce de fil entre nous qui faisait que jamais je ne me sentais abandonnée. Et elle a un sens de l’humour craquant, alors, évidemment, je me lâchais lousse! Quand on joue du drame, c’est souvent ce qui arrive. On a besoin de rire.  

Tu as aussi joué dans la série La faille...
Oui. La faille, c’était un tout autre univers! Mais il y avait aussi une belle écri- ture et une belle équipe. Et j’ai d’autres beaux projets qui ne sont pas encore signés et dont, évidemment, je ne peux pas encore parler. En plus du cinéma et de la télévision, je touche aussi à la radio, et j’aime ça. C’est inespéré et inattendu. Ça fait du bien de ne pas être dans l’image lorsqu’on est derrière un micro. C’est une grande libération!  

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Tu es toujours très présente à l’écran...
Oui, et c’est vrai que nous ne sommes pas beaucoup à avoir cette chance incroyable. Encore dernièrement, j’en parlais et je disais qu’il faut vraiment en jouir et, surtout, arrêter cette espèce de folie de regarder en arrière et de se dire: «Quand j’avais 30 ans, j’avais ci, j’avais ça...» Moi, à 30 ans, je me disais que je n’avais pas une tête à cinéma, que j’étais trop singulière. Pourtant, la vie m’a amenée à en faire, malgré mes appréhensions. Mais, encore aujourd’hui, à 58 ans — et je le dis sans gêne —, je pense qu’un beau matin, ça va être fini. Et je sais qu’à cet instant-là, je vais devoir me dire: «Remercie le ciel, ma fille, parce que tu as eu une saprée belle carrière! Le train ne s’est pas souvent arrêté...» Peut-être une fois ou deux, mais ç’a été très rare. D’ailleurs, quand j’enseigne à l’École nationale de théâtre, je dis souvent aux étudiants: «Priez et travaillez pour ne pas être qu’un feu d’artifice. Travaillez pour rester là un grand bout.»  

Au-delà du talent, crois-tu que ta carrière a été généreuse parce que tu as su laisser venir les rôles à toi?
On dit ça par rapport à l’amour, et j’ai déjà tenu ce discours-là, mais je ne sais plus si ça tient le coup. Il y a le hasard, peut-être, mais il y a aussi le fait d’ap- partenir à ce que j’appelle des «familles professionnelles». Si on appartient à une famille, c’est qu’on correspond à certains besoins. Et quand les membres de cette famille recherchent une cer- taine intensité, ils pensent à ce qu’on représente. J’ai joué des rôles de profes- seurs, d’avocates, de psys... On ne pense pas souvent à moi pour une clocharde. Dans une carrière, il faut juste parfaire ce qu’on offre. C’est bien beau de dire qu’on peut tout jouer, mais ce n’est pas la réalité. Oui, on peut jouer bien des rôles, mais il y a quand même quelque chose qui fait que je n’ai jamais joué Juliette. À l’école, quand on montait La Mouette de Tchékov, par exemple, la Mouette, c’était toutes les autres filles. Moi, je jouais Arkadina. J’avais déjà un profil de jeune femme un peu sérieuse.  

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Étais-tu complexée à l’époque?
J’ai toujours été complexée et je le suis encore. Ce n’est pas pour me rendre intéressante; je suis profondément insécure. Si j’ai les cheveux remontés, je me dis que je devrais les descendre. Quand je porte un col blanc, je me dis que ç’aurait été beau un col roulé noir. Bon, j’y vais dans les choses superfi- cielles, mais je suis comme ça à bien des niveaux. Il faut que je fasse attention. Je me regardais déjà peu à l’écran. Maintenant, je ne regarde presque plus du tout ce que je fais. On s’enfarge parfois dans les fleurs du tapis... Quand je fais un effort pour me regarder, c’est parce que ça m’intéresse de voir le travail de mon réalisateur ou de ma réalisatrice et de mes camarades.  

On est toujours trop dures envers nous- mêmes, mais c’est vrai que de se voir à l’écran, c’est parfois assez ingrat...
Pourtant, dans la vie, la vraie vie, on est plus qu’acceptables! Cela dit, je refuse que la télé me dicte comment je dois vieillir. Si ça ne va pas, je vais arrêter de jouer et de m’exposer. Je veux vieillir en paix. Et quand je dis en paix, ça ne veut pas dire que je me laisse aller. Je suis coquette et j’essaie d’être en forme physiquement, mais je ne veux pas aller au-delà de ce qui me semble confortable. Celles qui m’inspirent sont des femmes qui vieillissent à l’écran, sans drapeau, sans parler. Tout d’un coup, on constate que ces femmes sont absolument radieuses et qu’elles vieillissent de façon saine.  

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Avec le temps, as-tu réussi à installer une forme de paix?
J’essaie! Je me dis qu’un jour — pas tout de suite —, le chant du cygne va finir par se faire entendre. Pas juste physiquement, mais dans ma manière d’être aussi. Dans la façon dont je réagis à tout, au stress, à la vie, à l’adversité... Comme je te le disais, quand j’étais jeune, je trouvais que j’étais trop singulière. J’aurais tellement aimé avoir un petit nez, ne pas avoir parfois cette certaine insécurité quand je parle. Puis, avec le temps qui passe, on regarde derrière et on n’en revient pas d’avoir pensé comme ça. Bien sûr, j’ai un métier où on focusse beaucoup sur l’image... Mais c’est aussi très gratifiant de penser à nos accomplissements et d’avoir le sentiment d’avoir accompli quelque chose, d’avoir été aimée, même si c’est pour des raisons que je n’arrive pas tou- jours à identifier. Mais justement: en vieillissant, j’ai appris que je dois me fier aux autres. Et ça, c’est très satisfaisant. J’entends mieux et je reçois ce que les gens reconnaissent de bon chez moi. Même si ça vient de l’extérieur, ça nous rentre un peu dans le cœur, et c’est ce qui est important.  

Les séries Mon fils et La faille sont offertes en exclusivité sur Club illico.  


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