À 79 ans, Michel Tremblay n’est pas près de la retraite

Karine Lévesque

Michèle Lemieux

2021-11-23T15:40:08Z

À 79 ans, Michel Tremblay multiplie les projets. Seize ans après avoir traversé un cancer de la gorge, le romancier et dramaturge est dans une forme enviable. Véritable boulimique de l’écriture, il nous présente ces jours-ci son 70e livre en une cinquantaine d’années de carrière...

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Monsieur Tremblay, le théâtre Prospero s’apprête à présenter une pièce de Tchekhov dans une version québécoise de votre cru. Comment en êtes-vous venu à revisiter cette pièce?
Platonov amour haine et angles morts, d’Anton Tchekhov, a déjà été jouée il y a deux ans dans un français normatif. Entre-temps, la metteuse en scène a proposé que je refasse ce spectacle en québécois. Ça part du principe qu’un spectacle doit toujours être fait pour ceux qui viennent le voir. Ce sera la première fois qu’on jouera Tchekhov en québécois à Montréal. Ça va sûrement choquer des gens...      

Vous avez l’habitude. Votre carrière n’a-t-elle pas débuté dans la controverse avec Les belles-sœurs?
Il n’y a plus grand-chose qui me dérange! (rires) Mais comme ça fait 53 ans, je suis plus vieux et j’ai la couenne moins dure que lorsque j’étais plus jeune. On verra... C’est l’fun d’avoir des projets à 79 ans.      

Vous ne les faites tellement pas!
Je disais à mon chum récemment que j’ai la grande chance de n’avoir mal nulle part... À 79 ans, on a généralement des problèmes de genoux, de hanches, etc. J’ai des séquelles de mon cancer, mais ça fait 16 ans, et je m’y suis habitué. Ne pas avoir de grande douleur m’aide probablement à être de bonne humeur. 

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À quoi est-ce imputable, à votre avis?
À partir de l’âge de 50 ans, j’ai décidé de passer un bilan de santé chaque année pour être au courant de tout ce qui m’arrive. Ça fait 29 ans que je vais annuellement à la clinique. Je fonctionne à la peur. Quand j’ai eu mon cancer de la gorge, j’ai dit au docteur: «Faites-moi peur! Dites-moi ce qui va m’arriver si je ne suis pas vos directives et je vous jure que je vais m’en sortir.» Ça a fonctionné! Même quand c’est désagréable, je suis les directives de mes médecins, de peur qu’il m’arrive quelque chose. C’est peut-être pour cette raison qu’il ne m’est rien arrivé de grave depuis 16 ans... mais je touche du bois!

Le cancer est loin derrière vous?
C’est arrivé en 2005. Mon médecin m’avait dit que si je m’en sortais, c’était extrêmement rare que ça revienne. Le cancer était à l’amygdale droite. Une amie a eu le même cancer, mais situé plus bas, et elle a eu des séquelles plus graves que les miennes. L’affection de mes amis et du public a joué un rôle majeur dans mon rétablissement. Des gens sur la rue me disaient: «Monsieur Tremblay, il faut que vous restiez avec nous, car on ne peut pas imaginer ne plus avoir de nouveau Tremblay à lire...» Ces encouragements m’ont aidé et m’ont aussi démontré que j’avais raison d’avoir peur et de continuer. Je sentais que des gens espéraient que j’aille mieux.

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C’est parce que vous avez un statut particulier. Vous êtes notre premier auteur contemporain connu et aimé.
C’était plus difficile avant, notamment parce qu’on n’avait pas de télévision. Par exemple, Monsieur Dubé (Marcel Dubé, dramaturge) était un homme discret qui accordait peu d’entrevues. Moi, je suis arrivé en 1968, en pleine explosion de la télévision, un an après Expo 67. J’ai eu de la chance à cause du scandale causé par ma pièce. Le public s’est habitué à ma tête avant même de savoir de quoi je parlais. Trois à quatre fois par semaine, j’étais à la télévision et à la radio, regardé et écouté par des centaines de milliers de personnes, pour défendre une pièce qui était vue par 450 personnes par soir...

Vos personnages sont quasiment devenus des membres de la famille...
Les 10 premières années, il y avait plus d’antis que de pros. Lorsque j’ai publié La grosse femme d’à côté est enceinte, on aurait dit que ceux qui ne m’aimaient pas ont compris ce que je voulais dire, et surtout que j’étais capable d’écrire en français... À partir de ce moment, beaucoup ont changé de camp. J’ai vu de belles conversions. Jean-Louis Roux, entre autres, n’aimait pas du tout ce que je faisais au début, puis il a décidé de produire Sainte-Carmen de la Main. Cette pièce qui parlait de la liberté de parole le touchait profondément. Le nombre de fois où j’ai entendu dire que je ne serais jamais que l’auteur d’une seule pièce... Moi-même, j’ai déjà dit, en 1970, que je n’allais plus rien avoir à dire cinq ans plus tard. Je le pensais, mais j’avais peur... Tiens, encore la peur... Je crois qu’un artiste a peur toute sa vie. (sourire)

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Monsieur Tremblay, avez-vous d’autres projets au programme?
Oui, ma nouvelle pièce, Cher Tchekhov, sera présentée au Théâtre du Nouveau Monde en mai prochain. Mon plus récent livre, Offrandes musicales, vient de paraître chez Leméac. C’est un livre de souvenirs, comme j’en ai fait sur le théâtre, le cinéma et la littérature. J’avais peur — encore ce mot! — de ne pas trouver les mots. J’ai beaucoup parlé de musique dans mes romans. Lorsque j’étais à Key West, j’ai eu l’idée d’écrire sur une anecdote qui m’est arrivée au retour de la Floride en mars 2020. Finalement, j’ai écrit 12 textes sur la musique. Ça va de Puccini à Céline Dion en passant par Barbara et Luis Mariano. C’est très éclectique.

C’est votre combientième livre?
Il paraît que c’est mon 70e... Je ne sais pas, c’est ce qu’on m’a dit. En 50 ans...

Compte tenu de la pandémie, pouvez-vous toujours vous rendre en Floride?
Oui. Dès le début de la pandémie, Key West a eu l’intelligence de fermer les Key’s aux touristes. Seuls les riverains pouvaient entrer ou sortir. J’y suis allé deux fois. La deuxième fois, j’avais plus peur... Parfois, je suis seul pendant un moment. Lorsque je suis sur le bord de m’ennuyer, je regarde les informations et les tempêtes de neige... et ça passe! (rires)

Êtes-vous souvent seul, à Key West?
J’ai acheté une grande maison pour pouvoir recevoir mes amis, mais il m’arrive d’être seul une semaine ou deux. Cette année, j’ai été seul pendant une cinquantaine de jours. C’était la première fois.

Michel Tremblay ne rêve pas de retraite, je présume?
Je n’ai pas connu d’artiste qui rêvait de retraite... Ça n’existe pas pour nous. Les artistes sont des passionnés, car ils aiment ce qu’ils font.      

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Michel Tremblay a récemment lancé Offrandes musicales, publié chez Leméac.
Jusqu’au 11 décembre, Platonov amour haine et angles morts, dont il a fait la version québécoise, est présentée au théâtre Prospero.
Du 3 au 28 mai 2022, il nous offrira sa plus récente création, Cher Tchekhov, présentée Théâtre du Nouveau Monde.

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