Anik Jean s'ouvre sur le deuil difficile de son père

Dominic Gouin

Patrick Delisle-Crevier

2021-10-27T10:00:00Z

C’est dans sa nouvelle maison au pied de la montagne qu’Anik Jean nous reçoit afin de nous parler de ce disque Love in Silence, un album qu’elle a écrit au décès de son père, Rolland, mort subitement dans ses bras il y a un an. Elle présente ces jours-ci un disque poignant dont la création a été nourrie par le vide, le deuil et l’absence de son père, dont elle était très proche. Entrevue avec une chanteuse qui a surmonté sa peine grâce à la musique.

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Anik, parle-moi de ce beau disque...
C’est un album qui n’était pas prévu et qui est arrivé à la suite de la mort de mon père. Il est décédé dans mes bras à l’été 2020. Je n’avais pas tiré un trait sur la chanteuse, sur les disques et les spectacles, mais je m’occupais à faire de la musique de film, et c’était agréable de travailler dans mon studio à la maison. Mais quand mon père est décédé, faire des chansons a été une façon de faire mon deuil. La mort de mon père, c’était quelque chose que j’appréhendais depuis que j’étais toute petite parce que mon père, c’était mon tout. Comme il est mort d’un coup sec et sans être malade, ç’a été un grand choc! Tout au long de l’album, je parle à mon père. 

Comment est survenu son décès?
J’étais toute seule avec lui en Gaspésie, en août de l’an dernier. Nathan et Patrick étaient de retour en ville et j’avais décidé de rester une semaine de plus avec mon père. Cette journée-là, lui et moi entreposions nos motos. Il a embarqué sur la mienne et il a fait un arrêt cardiaque devant moi. J’ai essayé de le réanimer pendant 20 minutes et je n’ai pas réussi. Quand les ambulanciers sont arrivés, il était trop tard. Sur le coup, j’étais sur l’adrénaline, j’écoutais à la lettre ce que me disait le 9-1-1 pour le ramener à la vie. Quand j’ai réalisé qu’il était parti, ç’a été un moment terrible.      

Comment as-tu vécu les jours suivants?
Je suis restée seule en Gaspésie, j’avais besoin de décanter tout ça dans la solitude. Au début, je pleurais beaucoup; il y avait tellement de souvenirs qui me frappaient! J’étais triste, mais je n’avais pas de ressentiment ni de haine face à la façon dont c’était arrivé. Au contraire, j’ai perçu ça comme un cadeau de mon père; j’ai vécu ce dernier moment seule avec lui, et il est mort chez nous, à mon endroit préféré. La pochette de l’album, c’est exactement l’endroit où il est décédé, où j’ai déposé le case de guitare de mon papa. Après sa mort, j’ai fait un pèlerinage dans ses lieux préférés. J’allais sur son quai à 17 h comme il le faisait, j’ai beaucoup jasé avec son meilleur ami. Je suis restée en Gaspésie, j’avais besoin de vivre ces moments-là.

Comment est née l’idée de faire un album après le décès de ton père?
Quelques mois plus tard, j’ai été habitée par quelque chose. Les chansons sont venues tellement rapidement, j’ai dû écrire les pièces en moins de deux semaines! Sur ce disque, je reprends aussi des chansons, dont Waiting for the Miracle, de Leonard Cohen, car mon père était un grand fan de Cohen. Je l’ai chantée en duo avec Kevin Parent qui est comme mon grand frère depuis toujours, et mon père a toujours considéré Kevin comme de la famille. J’ai aussi refait la chanson Junkie de toi, parce que c’était sa préférée, mais je l’ai faite avec mon pianiste préféré, celui de David Bowie, Mike Garson, avec qui j’ai travaillé sur mon album éponyme. J’ai aussi contacté Steve Hill pour jouer sur cet album. Ce disque, c’est vraiment un hommage à mon père. On a fait tout ça à distance à cause de la pandémie.

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Ce qui est étonnant, c’est que ce disque, même si c’est un album de deuil, n’est aucunement déprimant!
Oui, c’est vrai. Patrick, mon conjoint, me disait la même chose, il n’est pas dark, c’est plutôt un beau disque d’automne qui fait du bien. Je l’ai fait comme il est sorti. Par exemple, la chanson Live or Die, la première du disque, est pour moi une chanson de road-trip. J’en faisais souvent avec mon père, et cette chanson, c’est ça. C’est un disque qui a été créé à la suite d’un décès, mais j’ai toujours trouvé qu’il y avait une beauté dans la mort. J’ai peur de partir trop tôt pour mon fils ou pour Patrick, mais pas de mourir. Quand mon père est mort dans mes bras, je lui flattais la tête, il avait l’air paisible, je le trouvais tellement beau! Mon histoire avec mon père a été l’une de mes plus grandes histoires d’amour, et cette fin que j’ai vécue avec lui ce jour-là, c’était comme un film. Je suis en paix, je ne pouvais rien faire de plus pour le sauver.

Est-ce que tu as trouvé ça dur, sur le coup, de ne pas avoir réussi à le réanimer?
C’est certain qu’il y a eu une période de culpabilité dans laquelle je me suis demandé si j’aurais pu faire plus. Je savais que j’avais cinq minutes pour le réanimer et qu’après ça, il serait trop tard et qu’il aurait peut-être eu des séquelles sérieuses. Mon père avait 74 ans, il n’avait aucun problème cardiaque ni ennui de santé. Il a fait une grosse dépression il y a quelque temps et a eu du mal à s’en remettre, mais jamais, la veille, je n’aurais pensé que mon père s’en irait.

Si je te dis Rolland Jean, qu’est-ce qui te vient en tête comme plus beau souvenir de lui?
C’était un homme qui touchait à tout, qui butinait ici et là, un peu comme moi. Il a été pilote d’avion, photographe, il faisait de la musique... Je le regardais, quand j’étais petite, et il m’impressionnait. Avant un spectacle, il n’était jamais stressé, et sur scène il avait un charisme fou. Mon père était un rassembleur et, chez nous, c’était des partys qui finissaient au petit matin avec du Janis Joplin et du Fleetwood Mac. Mon père a forgé toute la personne que je suis devenue. Ce n’était pas le genre de père affectueux qui disait «je t’aime» tout le temps. Mais il me montrait plein de choses. Sa façon à lui de m’aimer, c’était de me montrer à changer un pneu. J’étais sa fille unique et il m’emmenait partout. J’aimais être avec mon père. Il est souvent venu me visiter quand j’habitais en Californie. Il est venu voir mon premier spectacle au Viper Room de Los Angeles. Je tiens tout mon côté artistique de lui.

Parle-moi de la transmission musicale avec ton père...
Je voulais apprendre la guitare dans la vie, et à l’école j’apprenais le violon et la flûte. Mais je voulais jouer de la guitare et j’ai demandé à mon père. Il m’a donné un livre sur les accords en me disant de l’apprendre. Puis, quand j’ai eu 12 ans, ma mère m’a acheté ma première guitare, et j’ai décidé d’apprendre le cartable qu’il m’avait fait, car je voulais vraiment être bonne. Mon père était exigeant et n’était pas du genre à me lancer des compliments quand j’étais là. Mais, quand j’arrivais en Gaspésie, les gens me disaient à quel point il était fier de moi et combien il m’attendait. Il a toujours eu de la misère à me dire qu’il était fier de moi. Même quand j’ai fait la première des Rolling Stones, il n’a pas dit un mot. Mais je sais qu’il était fier.

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Donc, ton père n’a jamais été capable de te dire qu’il était fier?
Le plus drôle, c’est qu’il l’a fait peu de temps avant de partir. Quand j’ai acheté ma maison en Gaspésie, il m’a dit à quel point il était fier, que j’avais réussi à me rendre plus loin que lui dans plein de choses, et il me félicitait. Il m’a clairement dit: «Je suis fier de toi, ma fille.» 

Où en est ton deuil, un an plus tard?
Je vais bien, mais, en même temps, on dirait que j’ai ressenti le besoin de changer d’air, de me rapprocher un peu plus de la campagne. On a donc vendu la maison de Boucherville pour s’installer au pied des montagnes. J’avais besoin de changement et d’être plus près de la nature. Patrick aussi. Puis La Tour est arrivée et je me suis garrochée dans le travail. Mais, quand j’avais envie de pleurer, je pleurais. J’en ai aussi beaucoup parlé avec Patrick, car il a vécu ça lui aussi, la mort de son père. Ç’a été une grosse étape dans sa vie. Patrick est maintenant ma figure masculine, et il me reste lui et mon fils, Nathan. Patrick a trouvé ça très difficile, parce que mon père a été son deuxième père.

Comment as-tu expliqué à Nathan la mort de son grand-père?
Ç’a été difficile; Nathan et mon père étaient très proches l’un de l’autre. Mon fils a beaucoup pleuré et il a fait un dessin, une tombe dans un cimetière avec ces mots: «On t’aime tellement grand-papa, j’espère que tu es bien.» Mon fils m’a beaucoup vue pleurer, il m’a même demandé si j’allais arrêter d’être triste un jour. Mais je voulais qu’il comprenne la vie et la mort. Cette épreuve nous a encore plus soudés, Patrick et moi. Il a été mon pilier dans ces moments difficiles. 

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J’ai toujours eu l’impression que tu aurais pu avoir une carrière de rock star, que tu avais ce qu’il fallait. Est-ce dans tes plans?
J’ai un peu mis ça de côté à la naissance de mon fils pour être avec lui. Je voulais vivre ma maternité et être là pour mon gars. Mais là, il a presque 11 ans et j’ai envie de reprendre du service, de partir en tournée et de vivre cette vie-là. J’aimerais explorer et me promener en Europe avec ma musique, parce que c’est un continent qui m’inspire beaucoup. Mon spectacle va s’appeler Duel. Dans une partie, je vais chanter mes nouvelles chansons et dans l’autre, je vais ressortir ma guitare électrique et faire quelques-uns de mes vieux succès.

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Ce sera une première fois pour Nathan qui va découvrir sa mère sur scène?
Oui, et ça me rend nerveuse un peu plus parce que je veux que mon fils me trouve bonne. Nathan, c’est un artiste-né: il dessine beaucoup, s’intéresse à la musique, et ce qui est drôle, c’est qu’il commence à comprendre ce que ses parents font. Au départ, il me disait qu’il n’aimait pas ma musique, mais là, il aime ça, il a même fait écouter mes nouvelles chansons à son ami avec fierté. Ça m’a touchée. 

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Quels sont tes autres projets?
J’ai des projets de films en tête et je sors un deuxième livre pour enfants, qui a pour titre Nathan au fond des océans. Je coécris aussi avec l’auteur Nicholas Aumais un roman graphique qui va sortir en février et dont Nathan sera l’illustrateur. Je m’amuse beaucoup à écrire pour les jeunes. J’ai plein d’autres projets encore. Patrick aimerait que j’écrive un album en français. Mais j’y vais un jour à la fois. Je sais désormais que je vais toujours revenir à la musique. C’est ce qui m’habite.     

L’album Love in Silence, en vente depuis le 22 octobre sur son site internet: anikjean.ca.

Son deuxième livre, Nathan au fond des océans, est maintenant offert en librairie.
Nathan au pays des pirates (un best-seller) est aussi offert en librairie.

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