Michel Forget raconte le jour où sa vie a basculé

Photo : Bruno Petrozza
Photo portrait de Louise Deschâtelets

Louise Deschâtelets

2021-09-29T17:59:29Z

En roulant sur l’autoroute 15 pour rencontrer Michel Forget au Club de golf Val-Morin, où il a ses habitudes, me sont revenus en mémoire des souvenirs communs de notre jeune temps. Celui où Michel triomphait au petit écran dans le rôle de Mario Duquette, dans l’émission Du tac au tac, et aussi celui où, féru de courses hippiques, il m’avait initiée aux subtilités de ce sport et appris comment parier pour espérer gagner...

Je ne me souviens pas de lui en avoir parlé à l’ époque, mais c’ était ironique de me retrouver à la piste Blue Bonnet, moi la fille de Maurice, parieur invétéré et preneur de paris clandestins dans les années 1950, au grand désespoir de Juliette, ma mère, qui craignait que ce marché noir ne déteigne sur notre petite famille.

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Cela faillit arriver quand le maire Jean Drapeau et son fidèle acolyte Pacifique Plante firent le ménage dans le monde interlope de Montréal. Notre mère avait alors réussi à nous cacher, à mon frère et à moi, que papa avait été arrêté et emprisonné pendant quelques jours. Je l’ai appris d’une de mes tantes alors que j’approchais de la vingtaine. Quand j’en ai glissé un mot à ma mère, elle m’a tout de suite intimé de «garder ça mort!» avant de passer à un autre sujet.  

Pourquoi ça me revient aujourd’hui? Probablement parce que Michel Forget n’a pas la langue de bois et n’est pas du genre à «garder morts» les souvenirs de son passé, puisqu’ il fera paraître bientôt le récit de sa vie. Et aussi parce que cet homme m’a toujours semblé n’avoir peur de rien. Sauf peut-être le jour où un médecin lui a prédit qu’il mourrait certainement un peu trop vite s’il persistait dans certains excès qui affectaient déjà sa santé.  

Photo : Bruno Petrozza
Photo : Bruno Petrozza


Comment tu vas, Michel?
Je vais très bien. Je finis ma vie comme je l’avais planifiée, dans la paix et avec une espèce de sérénité. Un état dans lequel les choses prennent de moins en moins d’importance et où on consacre ses énergies uniquement à celles auxquelles on tient. Impossible de faire ça à 40 ans, parce qu’on est trop pris par la carrière. 

Ce qui fut ton cas pendant plusieurs années?
Oui, au point où ma femme, Marie, me disait tout le temps: «Tu travailles trop, Michel!» Ce à quoi je répondais toujours: «Laisse-moi assurer notre retraite. J’arrêterai quand je sentirai le moment venu.» Quand mon conseiller financier m’a dit un jour de 2010 que de la façon dont je vivais et avec ce que j’avais amassé je pouvais vivre jusqu’à la fin de mes jours, je savais que mon but était atteint, que je pouvais ralentir le rythme. Je suis présentement dans «the fulfilment of a dream».      

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Comment s’est effectuée cette sortie de scène?
J’ai commencé par mettre une croix sur le théâtre d’été, où j’avais œuvré pendant plus de 20 ans, et je me suis mis à choisir, dans ce qu’on m’offrait, juste ce qui me plaisait le plus. Je ne te cacherai pas que l’anonymat qui se rattache à cette prise de décision me plaît aussi assez. J’approche quand même du 80, tu sais!

Photo : Bruno Petrozza
Photo : Bruno Petrozza



Mais tu restes encore actif quand même?
Oui! Je marche encore mes 18 trous au golf et je frappe la balle décemment, assez pour avoir du plaisir. J’ai du temps en masse pour lire. Sans en avoir une tonne, j’ai quelques bons amis avec qui j’échange sur mes lectures ou sur ce qui me passionne. Et tout ça me suffit pour être heureux!

C’est une décision personnelle que d’avoir voulu te mettre à nu dans une biographie?
Absolument pas. C’est à cause de Dominique Michel et de ma femme, Marie. Dominique me disait «Hé, Michel, t’as eu un tel parcours de vie. T’es parti en bas, pour monter aussi haut, il faut que tu le racontes!» Et Marie, elle, avait envie de travailler avec moi sur ce projet. Je ne pouvais pas refuser ça à une femme qui, au détriment de sa propre carrière, avait accepté d’entrer dans le monastère Forget pour consacrer sa vie à mon service. 

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Photo : Marco Weber
Photo : Marco Weber

Comment vous y êtes-vous pris pour écrire à quatre mains?
On a décidé qu’au lieu d’y aller année après année, on allait procéder sujet par sujet. Elle a ouvert l’enregistreuse un matin, et c’était parti! Malgré les bouts difficiles que j’avais traversés, je ne voulais pas non plus que ça devienne un règlement de comptes. J’avais lu un jour que l’indifférence était la pire des critiques. Alors j’avais adopté ça comme modus operandi. Depuis, quand je rencontre quelqu’un que je n’aime pas, je ne le vois pas. Il devient transparent comme une plate glass

Mais quand tu aimes, c’est l’inverse.
Oui, comme avec Pierre Labelle, qui fut mon premier partner de théâtre. Je me rappelle encore La coupe stainless, qu’on avait produite et jouée au Patriote de la rue Sainte-Catherine. C’est à la suite de ça que les propriétaires, qui possédaient également Le Patriote à Sainte-Agathe, nous ont proposé d’y faire du théâtre d’été. 

Le hasard n’existant pas, ça marquait le début d’une longue et belle aventure.
Ça marchait tellement bien, Pierre et moi, que René Angélil, que j’avais connu à l’époque où je travaillais de nuit dans un restaurant de cuisine rapide — Chez Como, sur Saint-Hubert, au coin de Jarry — où il venait manger après ses spectacles avec les Baronets, nous avait proposé de nous produire dans un show d’humour. Mais comme Pierre voulait produire un show en solo, j’ai racheté ses parts du théâtre, et ça a marqué la fin de notre duo. 

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PHOTO COURTOISIE/ICI ARTV
PHOTO COURTOISIE/ICI ARTV

Tu avais une belle réputation comme producteur?
J’ai toujours valorisé le métier d’acteur, et je savais qu’en traitant bien mes interprètes et en les payant à leur juste valeur, j’allais être gagnant comme producteur. Et j’avais comme principe que ce que j’exigeais des autres, je le leur donnais en retour. 

Est-ce que ça s’apparentait à une famille, ce que tu as toujours voulu créer en faisant du théâtre?
Tout à fait. Tu sais, moi, l’enfance, je l’ai eue rough! J’ai eu des parents que j’admire avec le recul, mais qui étaient loin d’être adéquats. Mon père était inexistant. C’était ma grand-mère qui le remplaçait. J’ai commencé jeune à travailler, à me débrouiller et à gagner ma vie. 

Tu as vite pris des responsabilités d’adulte?
Oui, parce que quand tu vois ta mère qui renoue avec ton père pour la trentième fois, que les meubles qu’il vient de débarquer dans le logement, il va les reprendre dans pas longtemps pour repartir, et qu’il finit par se suicider, tu sais que tu ne pourras compter que sur toi-même. 

Et ta mère, que j’ai un peu connue, comment tu la vois, avec le recul?
C’était une grande travaillante et je tiens ça d’elle. Malheureusement, elle gagnait peu pour ce qu’elle accomplissait et je devais, avec les pourboires gagnés à livrer des commandes d’épicerie, l’aider à joindre les deux bouts. Heureusement, ça s’est replacé quand un ministre lui a déniché un emploi au gouvernement et que son salaire est passé de 17 à 40 piastres par semaine! 

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Photo : Bruno Petrozza
Photo : Bruno Petrozza

Je me rappelle très bien son dynamisme.
Tu peux le dire, car ensuite elle avait un job de jour et un autre de soir. Elle commençait à 8 h le matin pour finir à 11 h le soir. Même si à un moment donné j’ai pris conscience de la nécessité de prendre soin d’elle, ce n’est qu’après son décès que j’ai réalisé que j’aurais dû aller la voir plus souvent. Mais comme ce n’était pas une relation facile, elle et moi... 

Pourquoi?
Ben... Elle prenait ben d’la place! Ça ne simplifiait pas notre relation. Mais j’ai toujours respecté ce qu’elle était. D’ailleurs, un jour que j’étais seul avec elle, elle m’a demandé: «M’en as-tu voulu d’avoir appelé la Cour juvénile pour te ramasser ensuite au Centre de rééducation de Boscoville?» J’ai répondu spontanément: «Non! C’est certainement le meilleur move que t’as fait dans ta vie. Parce que si j’étais pas parti de ce bord-là, je serais allé complètement de l’autre bord.»

Quel souvenir gardes-tu de ton séjour dans ce genre d’établissement?
J’en garde un excellent souvenir parce que j’y ai toujours été entre bonnes mains. Monsieur Légaré, l’enquêteur qui s’est occupé de moi à la cour juvénile, a été impeccable. On m’a fait passer des tests pour mesurer mes capacités et le juge Aubé m’a dit: «Mon p’tit garçon, tu as des talents, et on va te permettre de les exploiter en t’envoyant à Boscoville, où tu vas pouvoir faire ta douzième année.»

Est-ce que tu irais jusqu’à dire que c’est là que ta vie a basculé?
Absolument. J’ai une vénération sans bornes pour Boscoville. Ç’a été ma bouée de sauvetage dans une mer démontée. Le directeur Gilles Gendreau et l’équipe d’éducateurs spécialisés qui menaient le centre étaient des êtres d’exception. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi on a fermé cet établissement en 1997, car leurs méthodes de rééducation donnaient d’excellents résultats.

Tu as été très malade à un certain moment et tu as complètement changé tes habitudes de vie ensuite. Parle-moi donc de ça.
Jusque vers 39 ans, j’ai mené une vie largement imbibée d’alcool. À un moment donné, je me suis mis à perdre du sang par le rectum. Je ne m’en préoccupais pas jusqu’à ce qu’on me signale que j’étais trop blanc pour être en santé. Des examens m’ont décelé des polypes aux intestins. Le médecin qui m’a opéré m’a dit ensuite que si je voulais vivre, il fallait que je change de régime de vie, car je ne me rendrais pas à 55 ans en continuant comme je le faisais.

Ça stoppe une lancée, se faire dire ça!
Tu peux le dire. Sans parler des recommandations d’une nutritionniste à qui j’avais répliqué: «Si je comprends bien ce que vous me dites, je serais aussi bien de rentrer dans les AA et de devenir végétarien un coup parti.» Ce à quoi elle avait répondu «Savez-vous que ça ne serait pas une mauvaise idée!» 

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Et tu as fait quoi, une fois le choc absorbé?
Je suis allé skier avec Marie pour lui annoncer que j’allais suivre les conseils qu’on m’avait donnés. Elle a accepté sur-le-champ. Je n’ai eu qu’une seule rechute dans l’alcool un an après. J’ai fait deux bons moves dans ma vie: les AA et ma femme (Marie Desmarteau)

Photo : Pascale Levesque / TVA
Photo : Pascale Levesque / TVA



Ce sont les AA qui t’ont permis de tenir le coup sans alcool jusqu’à aujourd’hui?
Les AA et les cours de cuisine végétarienne que Marie a suivis. Avec le temps, on a intégré un peu de poisson et du poulet à notre régime, mais sans plus.

Je constate que l’âge n’a rien enlevé à ta spontanéité et à ton côté direct...
... Mais j’ai toujours été respectueux de tout le monde! 

C’est vrai que Michel a toujours été un gentleman. Cet homme d’affaires aguerri, propriétaire des Nettoyeurs Daoust-Forget, a vécu certains moments difficiles en entreprise. Mais, même par vent contraire, il n’a jamais baissé les bras. Et là aussi, il a toujours maintenu avec ses franchisés l’esprit de famille qui caractérise son style de gestion. Pas surprenant que Sélection Retraite l’ait choisi comme ambassadeur. La seule chose qui semble lui avoir manqué, c’est de ne pas avoir eu un père pour lui paver la voie vers l’ âge adulte. En contrepartie, il se sent proche de ses deux fils de 55 et 52 ans, qui vivent en Angleterre.

La biographie de Michel Forget, Délinquant un jour, artiste toujours, sera offerte dès le 29 septembre aux éditions La Semaine.

Courtoisie
Courtoisie

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