Comment la panique et l’ennui nous font consommer en temps de pandémie
Myriam Lefebvre
Des étalages de papier de toilette et de farine dévalisés aux entreprises de jardinage, de piscines ou de vélos largement dégarnis, la pandémie entraîne de nombreux mouvements de consommation causés par la panique, mais aussi par l’ennui.
«Il y a des gens qui doivent être pognés avec des stocks de papier de toilette d’un an dans leur cave», lance Benoit Duguay en entretien téléphonique. Le professeur au département de marketing à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a vu plusieurs mouvements de panique au début de la crise qu’il explique par le concept de la pyramide de Maslow, dont la base est d’assurer sa survie et de combler ses besoins physiologiques.
«Aux États-Unis, ils ont eu une recrudescence d’armes à feu. Non seulement, c’est l’instinct de survie, mais c’est de dire: "Moi, je vais en avoir assez et si mon voisin n’en a pas assez et qu’il entre chez moi pour en voler, je vais pouvoir tirer dessus"», dit-il et satisfaire son besoin de sécurité, en deuxième base de la pyramide.
Pour M. Duguay, les papiers de toilettes, désinfectants, produits sanitaires et provisions de nourriture s’inscrivent tous dans ce même mouvement de panique.
Le cas de la Distillerie Stadaconé
Devant une augmentation massive de vente de désinfectants pour les mains que Statistique Canada avait chiffrée à près de 700% en mars, la Distillerie Stadaconé, à Québec, se spécialisant avant tout dans la confection de gin, a repensé ses affaires.
«On a produit 26 000 litres de désinfectant pour les mains [...] On a vendu plus de litres de désinfectants que de gin», souligne son président Jean-Pierre Allard. Et même pour son entreprise, qui approvisionne au fil des semaines différents secteurs en déconfinement, la collecte de ses propres composantes de gel a été parallèlement ardue. «On n’a jamais fonctionné à plein régime [...] Il n’y a rien qu’on n’a pas manqué, indique-t-il. Ça allait des contenants en plastique, la glycérine, l’alcool, même l’épaississant.»
Leur équipe connaît une première vague d’accalmie depuis deux semaines et admet avoir de la difficulté à mesurer quelle sera la demande future. «Toutes les personnes qui ouvraient ont toutes acheté un peu en mode panique. Admettons qu’ils avaient besoin d’un gallon par semaine, ils en ont acheté douze», ajoute M. Allard, qui espère ne pas rester coincé avec de grandes quantités de Stadacogel.
Cette hausse de demande était-elle causée par la panique ou par des besoins réels? Sera-t-elle importante dans le futur et surtout, deviendra-t-elle constante? Difficile de prédire quoi que ce soit dans la situation actuelle.
Acheter par ennui
Pour le professeur de marketing, les phénomènes de rareté vus chez certains produits depuis les dernières semaines, par exemple les articles de jardinage ou les animaux de compagnie chez les personnes qui habitent seules répondent davantage à un besoin de se désennuyer et non à l’instinct de survie comme il en a été le cas avec le papier de toilette en début de crise. Beaucoup d’événements sont annulés, plusieurs lieux de rassemblements sont fermés et les citoyens cherchent à se divertir.
«Avant de faire les jardins, on a voulu faire de la cuisine, il faisait trop froid, c’était plate!», affirme-t-il. Ce sont tous des phénomènes de consommation, motivés par différentes choses [notamment] motivés par le manque de choses à faire».
La crise a effectivement fait naître plusieurs apprentis horticulteurs. «La demande est plus grosse cette année. Je n’ai presque plus rien», confirme Marc Letarte, propriétaire de la Pépinière La Québécoise à l’Ange Gardien, approvisionnant des centres jardiniers avec des arbustes et des cèdres notamment. «C’est de valeur qu’il nous en manque, j’aurais pu en vendre encore plus», ajoute-t-il.
Marc Lebrun, propriétaire de l’animalerie Chico de Saint-Eustache s’est aussi fait prendre par la demande... de chiens et de chats. «La demande a été énorme, mais je n’ai pas fait plus de ventes parce que je n’ai pas voulu faire de nouvelles adoptions d’animaux durant la crise», dit-il, voulant notamment limiter les contacts physiques et les risques de propagation du virus.
Trouver un plan B
La peur de l’ennui est aussi une motivation pour plusieurs citoyens qui voient leurs vacances compromises. «L’argent qu’on consacrerait pour aller en voyage à Old Orchard, on va le mettre sur une piscine et on va pouvoir se baigner chez nous», indique M. Duguay, qui a remarqué des files monstres devant des détaillants de piscines.
Et les sportifs qui ne pouvaient plus pratiquer leur activité de prédilection se sont pour plusieurs orientés vers le vélo. Que ce soit à Québec, La Tuque, Trois-Rivières ou Montréal, les entreprises de vélo disent connaître des années exceptionnelles. «On a pratiquement triplé notre chiffre d’affaires», affirme Julien Brisebois, copropriétaire de l’atelier Technolodge à Saint-Sauveur. Si la boutique en est seulement à sa deuxième année d'activité, l’entrepreneur estime que «l’effet COVID» a évidemment contribué à sa croissance.
«Pas mal tous les distributeurs de vélo qui ont des distributions canadiennes ou nord-américaines n’ont pratiquement plus rien en stock en ce moment», ajoute le propriétaire, espérant que de nouveaux adeptes adopteront le sport pour garder le marché en croissance dans les années à venir. «Ces gens-là vont avoir eu leur premier vélo, il y en a qui vont avoir la piqûre et vont vouloir changer de vélo», ajoute-t-il.
Pour M. Duguay, il ne fait pas de doute que la pandémie a changé la société de consommation telle qu’elle était auparavant. Toutefois, la consommation, elle, ne cessera jamais. «Le plaisir de consommer prédomine», estime-t-il.