Le commandant Robert Piché se confie sur son voyage aux Açores, 20 ans après les événements

Photo : Julien Faugere

Jean-Marie Lapointe

2021-09-06T17:18:23Z

J’ai eu la bonne fortune de rencontrer Robert Piché il y a près de 15 ans lors d’une célébration soulignant l’anniversaire de Jean-Pierre Chiasson, qui a fondé la Clinique Nouveau Départ, spécialisée dans le traitement des dépendances, où nous avions été soignés et pris en charge à une époque. Nous avions réalisé que nous étions traités par les mêmes thérapeute et médecin! Ça a cliqué entre nous en 30 secondes. Comme des retrouvailles entre deux frères de parents différents!

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On sait que Robert Piché est un grand homme et un héros, mais toi, comment te décrirais-tu?
Comme un gars ordinaire qui s’est retrouvé dans une situation extraordinaire malgré lui, avec peu de moyens et l’aide de son équipage pour s’en sortir. J’ai du mal à voir ça comme un exploit. J’ai juste fait ma job. Les gens me disent: «C’est toute une histoire que tu as.» Ce n’est pas une histoire, c’est ma vie. J’ai fait des choix que j’ai parfois regrettés. Je suis tombé, je me suis relevé, mais quand on examine le cours de ma vie, on dirait qu’il m’a préparé à cette nuit-là.      

Julien Faugère
Julien Faugère

Dans le documentaire, on comprend bien que tu as réalisé un exploit que des pilotes chevronnés placés dans un simulateur n’arrivent pas à reproduire.
Quand j’ai commencé mes cours de pilotage, je faisais enrager mes instructeurs parce que j’assimilais sans effort. Je n’étais pas studieux! Je ne savais pas que j’avais un certain talent. J’ai pris des décisions dans ma vie personnelle qui m’ont amené à en prendre sur le plan professionnel. Je sais qu’elles sont liées, que c’est un tout. Dans la nuit du vol 236, ce n’est pas seulement Robert Piché qui se trouvait là, c’est sa vie au complet.

Parle-nous de ton récent voyage aux Açores, qui marquait un retour à cette fameuse nuit.
Je ne pensais pas que ça me rendrait émotif. Mais quand je me suis agenouillé, la main sur la piste, je me suis mis à pleurer. Parce que c’est à cet endroit que j’ai sauvé la vie de 305 personnes. On me voit comme un héros depuis 20 ans, et c’est là que j’ai réalisé l’ampleur de ce qui s’était passé. Je remercie l’équipe de TVA de m’y avoir ramené. Paul Larocque a su me poser les bonnes questions. Ce qui s’est passé dans la nuit du 23 au 24 août 2001, c’est énorme, et ça l’est toujours pour les gens qui étaient à bord. J’ai eu la chance d’en rencontrer. Ils étaient heureux de me serrer la main et de savoir ce que j’étais devenu. Ç’a été des moments extraordinaires.

On connaît l’histoire de l’incroyable vol plané que tu as fait grâce à ton livre, un film, tes conférences. On l’explore aussi dans ce documentaire. Mais qu’as-tu ressenti à l’instant critique?
J’ai eu un black-out, j’ai pensé mourir. Plus rien n’existait. Une partie de moi pensait que tout était fini, alors que mon côté professionnel me dictait quoi faire et de m’occuper des 306 passagers. C’était ma priorité. Tout d’un coup, j’étais enragé contre la situation! Moi qui, après avoir fait de la prison, avais réussi à reprendre ma place dans la société, j’allais mourir dans 10 minutes? J’ai décidé de me battre jusqu’au bout!

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Il y a un moment qui me touche beaucoup dans le documentaire. Pour une rare fois, tu as avoué avoir senti la présence de ton père, alors qu’il est décédé dans tes bras quand tu avais 28 ans.
J’allais annoncer à mes parents que ma blonde attendait notre premier enfant et ma mère m’a dit que mon père avait été hospitalisé d’urgence après une autre crise cardiaque. Il est revenu à la maison. Je lui ai dit: «Paul, ce n’est pas ta première. Tu es capable de passer à travers celle-là.» Il m’a répondu que non, il était au bout du rouleau. Je lui ai donc dit: «Il te reste juste à mourir.» Et il est parti... Le soir du vol 236, durant mon black-out, j’ai senti une main sur mon épaule. Je me suis retourné et je l’ai vu. Il riait et pointait vers l’avant. J’ai relevé la tête et l’île était là, devant moi. C’est comme si mon père venait de me dire que tout allait bien aller. Je l’ai aidé à mourir et il m’a aidé à survivre. Ça m’a rassuré: il n’était plus question d’un amerrissage, je pouvais me rendre jusqu’à la piste. C’était le pire scénario qu’on pouvait imaginer, mais, grâce à l’adrénaline, j’ai pu reprendre le contrôle de la situation. Rien au monde ne se rapproche de cette sensation.

Vingt ans plus tard, que retiens-tu de cet épisode, sur le plan humain?
J’ai réalisé qu’il faut rester humble, et vrai, en toute occasion. J’ai été chanceux de m’en sortir et de sortir de prison. 

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Devenir un héros national du jour au lendemain, à 48 ans, comment as-tu géré ça?
Avec la prison, j’ai développé l’instinct de survie, et ça m’a servi le soir du vol. Je n’étais pas en mode urgence. À ma sortie de prison, toutes les portes s’étaient fermées. À 31 ans, je n’avais plus d’amis, plus d’argent, plus de blonde. En août 2001, ça faisait 16 ans que j’étais libre et j’avais toujours peur qu’on apprenne que j’avais fait du temps. Mon passé est sorti quatre jours après mon retour! C’est beaucoup d’émotions en peu de temps. 

Le statut de héros, tu ne l’as pas vécu très longtemps...
Je ne l’ai pas du tout vécu. Ma première pensée en sautant dans le toboggan d’évacuation était que j’allais perdre mon travail parce qu’on allait révéler mon passé. Je voyais déjà les titres dans les journaux...

Mais c’est touchant de voir à quel point la population québécoise t’a soutenu.
Quand c’est sorti, c’était écrit «Piché l’intouchable», à cause de la ferveur des Québécois et des Québécoises. J’ai ensuite passé six mois sur la brosse pour passer à travers...

Qu’est-ce que ça t’a pris pour arrêter?
Je ne pouvais pas continuer sans nuire à ma santé. Tout le monde voulait avoir un morceau de moi parce que j’étais devenu un héros national. Je me sentais seul au top. Je me saoulais et j’oubliais tout, mais ça repartait de plus belle au réveil le lendemain. Il fallait que j’en parle. C’est là que je suis entré en thérapie. 

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Tu es abstinent depuis 19 ans et, depuis, tu as pour missions de vivre 24 heures à la fois et d’aider d’autres alcooliques ou toxicomanes à s’en sortir. Te considères-tu comme guéri?
Non, mais quand je me sens sur le point de perdre le contrôle, je me répète cette pensée: «Analyse-toi chaque jour. Analyse-toi quand tu as la tête claire pour t’aider à te ramener dans le droit chemin quand ça ne va pas.» À présent, j’espère aider les autres, entre autres à travers la Fondation Robert Piché.

Tu as fait nombre de voyages. L’un de nos plus beaux voyages, c’est celui qu’on fait à l’intérieur de soi. Qu’as-tu découvert en toi?
C’est que je suis seul au monde. Toutefois, je la gère bien, cette solitude. À la longue, j’ai réalisé que personne ne peut comprendre ce que j’ai vraiment vécu. Maintenant que je vis un jour à la fois, je me demande encore ce qui m’attend. Ça m’excite, mais ça m’angoisse aussi. Par contre, si j’ai fait du bien dans le passé, mon présent sera bien, et si je fais du bien dans le présent, mon avenir le sera aussi. J’ai hâte de voir ce qui va arriver, mais en tant qu’alcoolique toxicomane toujours pressé, je dois prendre mon temps et lâcher prise. Il faut avoir la foi. Je peux sortir d’ici et mourir en traversant la rue, mais au moins, j’aurai fait ce que j’avais à faire. Cela dit, je ne crois pas que ça arrivera tant que je n’aurai pas la réponse à ma question: «Pourquoi moi?» 

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Mais tu connais une partie de la réponse?
La réponse est en train de se construire. 

La Fondation Robert Piché vient en aide aux organismes qui œuvrent auprès des personnes ayant développé une dépendance à l’alcool, à la drogue et/ou au jeu compulsif. Elle veut ouvrir un centre de réadaptation durable en septembre: fondationrobertpiche.org, 514 922-2343.

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