Télétravail: les économies des entreprises sur le dos des employés
Myriam Lefebvre
Plusieurs entreprises pensent adopter le télétravail à long terme, notamment pour réaliser des économies sur leurs coûts d’exploitation, mais les employés en paient largement le prix. Qui doit acquitter la facture du bureau que vous avez dû aménager ou des coûts d’électricité que vous avez payés?
Des recherches menées par le professeur et directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill, Richard Shearmur, lui ont permis d’estimer qu’une entreprise qui souhaiterait dédommager pleinement ses employés en télétravail devrait augmenter leur salaire de 5 000$ à 16 000$ par année, pour qu’après impôts, ils puissent rentrer dans leur argent.
Besoin d’une pièce de plus
Dans ses calculs, le professeur a tenu compte de frais variés incluant l’électricité, l’internet, l’équipement et l’achat de café, et a mis l’accent sur un besoin particulier des télétravailleurs: leur espace de travail. «Si les personnes vivent dans un petit appartement, et qu’ils travaillent de chez eux à long terme, ils vont vraiment avoir besoin d’une pièce supplémentaire», souligne-t-il.
M. Shearmur a d’ailleurs découvert au fil de ses recherches que plusieurs répondants travaillaient sur un coin de table de la cuisine ou même sur leur lit, comme ils vivent en colocation. «Les personnes qui disent qu’ils n’ont aucun problème sont ceux qui ont déjà une grande maison et un bureau à domicile», renchérit-il, ce qu renforce également l'idée d'iniquités sociales accentuées par la crise liée à la COVID-19.
Ses calculs ont ainsi mis en lumière les coûts supplémentaires engagés par un individu selon sa situation géographique, en comparant des quartiers définis de Montréal.
Rembourser ou non?
Les employeurs qui rembourseraient justement leurs salariés pour le télétravail feraient beaucoup moins d’économies qu’ils ne le pensent et seraient donc moins portés à vouloir les laisser en télétravail, selon M. Shearmur, d’autant plus que leur présence physique au bureau comporte des avantages non négligeables.
En effet, des estimations publiées dans le magazine américain Forbes avant la pandémie avançaient qu’un seul télétravailleur permettait à son employeur de sauver environ 10 000$ par année, dépendamment sa situation géographique. Ce n’est pas pour rien qu’une entreprise comme Shopify avait annoncé ce printemps qu’elle emboîtait le pas vers un télétravail permanent et à long terme: les économies sont effectivement considérables.
«Ils peuvent se délaisser de leurs bureaux, et donc payer moins de loyers, ne pas avoir de réceptionniste, nettoyer le bureau, avoir de machine à café», commente-t-il.
La question des impôts
Si le professeur croit que les entreprises devraient compenser les employés pour leurs dépenses à la maison d’une quelconque façon, il convient que les impôts complexifient la situation.
Le formulaire T2200 rempli par un employeur, afin que son employé puisse déduire certaines dépenses de son revenu, force ce dernier à assumer les frais en premier lieu, sans non plus lui permettre d’aller chercher la pleine somme correspondant à l’espace supplémentaire dont il a besoin en travaillant à distance.
«Le problème, c’est que c’est le fisc qui décide quelle déduction va être permise et j’ai d’énormes doutes si la pièce supplémentaire ou le coût de location pour passer du 1 et demi au 3 et demi va être déductible», affirme-t-il.
Bref, l’argumentaire des dirigeants d’entreprises qui s’emballent à l’idée d’implanter un télétravail à long terme pour économiser pourrait s’avérer désavantageuse pour bien des travailleurs. «Les économies des employeurs se font en fait sur le dos des employés», lance-t-il.