Ouvrir son restaurant en pleine pandémie: les hauts et les bas de quatre entrepreneurs
Myriam Lefebvre
Se lancer en restauration n’est jamais facile, le faire en temps de pandémie relève de l’exploit. Quatre entrepreneurs (et leurs partenaires) de Québec et Montréal ont surmonté ce défi et racontent les circonstances de leur ouverture dans des formules plus basiques que prévu, mais pas moins charmantes pour autant.
La date du 13 mars, celle où le premier ministre François Legault a annoncé la fermeture des écoles et semé la panique générale, était pourtant une lumineuse journée pour Lundis au soleil, qui ouvrait officiellement ses portes dans Villeray à Montréal. «Il y avait 100 personnes à la place, c’était formidable et la semaine après, eh bien...voilà», lance Olivier Martinez, l’un des trois copropriétaires du bistrot hybride, à l’européenne.
Nul n’est nécessaire de terminer la phrase, tout le monde connaît le sort des restaurants depuis le début de la crise. «Ce n’est pas facile de devoir donner un relevé d’emploi à des employés qui sont encore en formation et dont on est extrêmement content d’avoir avec nous», se désole-t-il.
Le plaisir de se rassembler
La situation est quasi identique pour les amis propriétaires du Verre Pickl’ dans Sillery, à Québec, qui n’ont pu faire qu’une préouverture entre amis avant de revoir leur formule. Dans un concept de sandwicherie du midi et de buvette en soirée, le Verre Pickl’ s’était donné pour mission de «rassembler le monde» et de «manger ensemble», explique la copropriétaire Alexandra Romero.
«On a une table de 14 personnes où le monde peut s’asseoir avec des gens qu’ils ne connaissent pas ou louer le restaurant au complet avec leurs amis ou leur famille», renchérit-elle. Avec une formule de sandwicherie pour emporter depuis quelques semaines, la restauratrice reconnaît que sa vision conviviale avec table à partager ne pourra être accomplie «à 100% pour un bon bout de temps», même si sa réouverture sera permise à compter du 15 juin.
Partager la musique
La Société des Loisirs (SDL), café-disquaire et presse à vinyles en basse-ville de Québec, abonde aussi dans le sens du partage. «On voulait une place où l’on peut acheter des vinyles selon une sélection qui nous inspire, dans un environnement où les gens peuvent s’asseoir, prendre un café, échanger et découvrir des trucs», raconte Olivier Bresse, l’un des trois partenaires de la SDL.
Si l’équipe n’a pu terminer ses rénovations comme elle l’aurait souhaité, justement en raison de la pandémie, elle a su mettre en place un système D pour parvenir à ses fins et ouvrir sans trop attendre.
«On n’est pas branché encore à la plomberie du local», raconte Olivier, qui a aussi passé de longues heures à transférer son inventaire de vinyles et de cafés sur un site web transactionnel. Notre inventaire de disques était déjà rentré, on avait notre machine à café, donc on dormait un peu sur un potentiel financier si on n’ouvrait pas».
Certes, l’idée de «rituel» et de «célébration du vinyle» dans un lieu commun se fait languir, mais les mélomanes ont accès à un éventail d’albums finement sélectionnés, dont ils peuvent se délecter à la maison.
Un mot: adaptation
Des retards d’ouverture, d’autres restaurateurs en ont connu. «On pensait qu’à partir d’avril, on pourrait commencer le restaurant, mais à cause de la pandémie, on n’était pas capable. Finalement, au mois de mai on a commencé des livraisons pour emporter», soutient Kamrul Ahmed, de l’apportez-votre-vin indien et bengali Salam namaste dans Sillery.
Tous les entrepreneurs en conviennent: la clé des dernières semaines était l’adaptation. «Les achats sont différents, les prix sont différents, les conditions avec nos fournisseurs sont différentes, la disponibilité des produits est différente. Tout a changé, mais nous on est vraiment bon à s’adapter», dit l’entrepreneure du Verre Pickl’.
Carte de vins pour emporter avec les repas «à prix de crise» chez Lundis au soleil, 20% de rabais pour les commandes à emporter tout le mois de juin au Salam namaste, chaque restaurateur tire son épingle du jeu comme il le peut. «On n’est pas devenu entrepreneur pour être dans des situations confortables», lance Olivier Bresse.
S’enraciner dans le quartier
Chacun de ces établissements a surtout pu compter sur une clientèle à la fois curieuse et déterminée à encourager les entrepreneurs de proximité. «Il y avait des pompiers de la caserne juste en face qui ne pouvaient plus aller dans les supermarchés et qui venaient chez nous», donne en exemple Olivier Martinez. Ce dernier dit d’ailleurs avoir «trouvé réponse dans son quartier» pour survivre à la crise.
«On est souvent sold out à partir de midi. Ça nous donne un peu de gazoline dans notre petit moteur», affirme Alexandra Romero.
Emballés de se lancer dans l’aventure malgré tout, ces entrepreneurs ont tous fait preuve d’une admirable ténacité pour maintenir le cap financier. Sans perte de revenu calculable comme ils n’existaient pas en 2019, ils n’ont pu avoir droit à la subvention salariale ou le prêt d’urgence pour entreprise offerts le gouvernement fédéral. Leur espoir demeure et réside assurément dans une réouverture prochaine, dans une relative normalité, avec ou sans plexiglas.