Récits de vies bousculées : Et les jeunes travailleurs autonomes dans tout ça?
Ann Julie Larouche
Notre collaboratrice Ann Julie raconte l'histoire de trois jeunes travailleurs autonomes qui se retrouvent soudainement sans revenu et mal pris, au point de considérer une réorientation de carrière pour un d’entre eux.
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Un vendredi soir, tard, au bar Midway. J’accapare l‘endroit sans gêne avec deux amis, Laurence et Maxime, happée par la promesse d’une soirée festive.
Seule ombre au tableau : ma douce Laurence est encore dans l’incertitude, à savoir si elle s’envole dans quelques jours pour Marseille, sous contrat pour le Cirque du Soleil.
Deux semaines plus tard, non seulement Laurence n’a plus d’emploi jusqu’en novembre, mais Maxime, réalisateur, se retrouve également devant le vide.
Et il y a moi, qui raconte ce qu’on n’aurait jamais même osé imaginer... il y a seulement 12 jours.
Laurence Dupont, 26 ans, coordonnatrice et régisseuse EN ÉVÉNEMENTIEL
«On était littéralement à une journée de partir. Tout a explosé et c’est tant mieux que je sois restée (au Québec). Je suis vraiment contente d’être ici», me révèle Laurence, de son appartement du Mont-Royal.
La coordonnatrice et régisseuse, qui travaille entre autres aux événements spéciaux du Cirque du Soleil depuis quelques années, devait prendre le bateau le 13 mars pour Marseille, en France, pour se diriger ensuite vers l’Italie.
Avec un scénario qui changeait à toutes les heures pour les différentes équipes, même si la situation était surveillée depuis le 24 février, difficile de prévoir le scénario final qui les attendait.
«On l'a appris en meeting qu'on ne partait plus. En une journée, j'ai appris que tous mes prochains contrats étaient annulés jusqu'en novembre.», poursuit-elle.
Financièrement, elle ne s’en cache pas : le stress est bien présent, elle qui n’a pas accès au chômage : «Le milieu culturel et événementiel, c’est pas un service essentiel loin de là, et ça va prendre du temps pour que les gens acceptent d’aller assister à un spectacle, à 2000 personnes dans une salle.»
Laurence pense sérieusement à se réorienter si la situation n’évolue pas d’ici un ou deux mois et évaluer quel domaine nécessiterait ses compétences.
«Il faut que je pense... quel milieu va avoir besoin d’aide ? Pour le milieu de la santé, j’ai des compétences en logistique et en relation publique. Coordonner des appels, de la logistique ou des relations publiques en santé ? On verra!»
Maxime Messier, 23 ans, réalisateur et vidéaste
Je lui demande : «Donc, je peux dire que tous tes prochains contrats ont été remis?»
«Non non, ils n’ont pas été remis. Ils ont tous été complètement annulés», me confie au bout du fil Maxime, de retour à Montréal après un tournage pour une campagne publicitaire qui se terminait mardi, à Québec.
Il y a près de deux semaines, rien ne nous indiquait que nos rires jaunes allaient se concrétiser par sa perte d’emploi la plus complète.
Même les rues de la Capitale-Nationale étaient bien désertes lors de son passage. «Là, j’ai réalisé que c’est pas juste une blague et que c’est une global crisis.»
Dans ses engagements qui ont pris fin abruptement, on parle de contrats de réalisation, tant au Québec qu’en Californie.
L’un de ses principaux clients The North Face, a d’ailleurs annulé tous leurs événements, dont leurs contrats avec Maxime derrière sa lentille. «Mon domaine et mon expertise sont en événementiel. Ça montre toute la fragilité de notre travail», révèle celui qui ne croit pas avoir de boulot jusqu’en septembre.
Question bidous, le vidéaste est bien heureux d’avoir eu une éducation financière et de ne pas vivre avec un lourd stress financier. «Cette année j’ai investi sur une grosse caméra, et je me disais ah, je vais pouvoir la rentabiliser! Je te dis que je suis content d’avoir pris un prêt sur du long terme», me raconte-t-il en riant.
Sans emploi, il ne désire pas céder au climat d’anxiété, mais plutôt en profiter pour surfer sur cette vague créative, qui ne vient que par la tête libre et du temps. «Je suis persuadé que cette situation va faire naître des idées que je n’aurais pas eues. Et pour une fois que j’ai du temps avec moi-même, je le prends.»
Dans un même souffle, il me confie, avant de raccrocher : «Mais, je te dis ça au jour 1 de ma quarantaine ... On s’en reparle dans deux semaines!»
Fadwa Lapierre, 33 ans, recherchiste
Arrivée du Salvador jeudi dernier, alors qu’elle était en tournage pour une série documentaire, le retour de mon amie recherchiste Fadwa Lapierre au pays n’est pas passé incognito.
Les frontières du Salvador désormais fermées aux étrangers pour un mois, le tournage de la série est maintenant sur pause pour une durée indéterminée. «Y’a un petit vertige qui est cool, me révèle-t-elle, sur Facetime, en isolement chez elle depuis près d’une semaine. Ça amène des remises en question, des réflexions.»
En plus du tournage décalé, Fadwa mettait la main à la pâte pour le contenu du tapis rouge du 35e Gala Artis, qui lui, a tout simplement été annulé.
Autre contrat aux oubliettes : tous les recherchistes qu’elle remplaçait à l’émission Salut Bonjour, ont aussi reporté leurs vacances. «Parce que, qui souhaite prendre ses vacances lors du COVID-19 à la maison?», questionne-t-elle.
C’est la toute première fois en 10 ans qu’elle n’a rien d’indiqué à son calendrier. «Je ne suis pas en mode panique parce que j’ai prévu le coup (financièrement)... mais c’est facile à dire quand j’ai pas de bouche à nourrir», illustre celle qui, à compter de jeudi, remplira en ligne le formulaire pour demander une aide financière pour les travailleurs autonomes qui sont forcés de rester confinés à la maison.
«On se pose la question quand même... combien de temps ça va durer ? C’est une épée de Damoclès au dessus de nos têtes. Les premiers à être coupés, c’est toujours les pigistes. Il va falloir laisser le temps que l’économie revienne, mais ça ne pourra jamais être comme avant», termine-t-elle.