Des entrepreneurs témoignent d'une semaine éprouvante pour les affaires et le moral

François Breton-Champigny et Mickael Destrempes

2020-03-13T20:00:00Z
2023-10-12T23:08:53.537Z

Avec la crise qui sévit, certaines industries écopent davantage, ce qui force de nombreux travailleurs autonomes et dirigeants de PME à revoir leur plan de fond en comble.   

Comment s’adapter dans ce contexte? Quels sont les impacts immédiats et à moyen terme? Que prévoir pour la suite?     

Trois jeunes entrepreneurs nous racontent l'éprouvante semaine qu'ils viennent de passer.     

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Chloé Lecavalier, de Lecavalier Petrone, chocolaterie et pâtisserie     

Courtoisie

Avec leurs confections sucrées hautement instagrammables et encensées par la critique, les deux entrepreneures derrière Lecavalier Petrone n’avaient eu qu’à gérer la croissance de l'entreprise depuis sa fondation en 2015.      

Récemment installée dans de plus grands locaux, la chocolaterie reçoit un déluge de courriels depuis hier. Alors qu’elle était en pleine préparation pour Pâques, la cofondatrice Chloé Lecavalier doit s’ajuster.      

Courtoisie

«C’est la première fois qu’on a autant de contrats reportés ou annulés, dit-elle. Un mariage a été reporté indéfiniment. J’ai beaucoup de clients américains, dont un qui venait faire un tasting la semaine prochaine, qui vient d’annuler. Il y a un salon d’art auquel on devait participer qui est en stand-by.»     

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Outre la perte de revenus, la situation place l’entrepreneure en terrain inconnu.      

«On est très conservatrices dans nos projections budgétaires, affirme Chloé. Mais ce n’est pas le genre de situation qu’on avait imaginé dans nos prévisions. C’est doublement difficile, parce qu’on est dans l’incertitude complète. Par exemple, est-ce qu’on remet les dépôts ou on patiente encore un peu?»     

Pour Chloé, la liste de questions ne fait que s’allonger pour l’instant.      

«Pâques, c’est 15 à 20% de notre chiffre d’affaires annuel. C’est une production qui doit se préparer longtemps en avance. On continue de produire, mais va-t-on devoir le jeter?»     

«On vient de créer un nouveau design pour nos emballages. Est-ce que l’usine qui les fabrique va fermer? Va-t-on les recevoir à temps?»    

Courtoisie

En somme, la jeune femme d’affaires entrevoit un effet boule de neige et tente d’évaluer l’ampleur que cela prendra.      

Malgré tout, Chloé reste optimiste, dans la mesure du possible.      

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«On a eu seulement trois clients en boutique aujourd’hui, et ils portaient tous des masques. C’est certain qu’on commence à vivre un stress. On a des employées et on pense à elles aussi, là-dedans. Mais le moral n’est pas à plat complètement. Même si ça va freiner notre croissance, l’entreprise va bien et a fait trop de chemin pour qu'on se décourage si rapidement.»     

Courtoisie

Et finalement, pour ceux qui auraient quand même le goût de déguster un chocolat pendant la crise, la chocolatière se fait rassurante.      

«Se laver les mains 40 fois par jour, entre chaque étape de production, c’est déjà dans nos habitudes. C’est certain qu’on fait encore plus attention à ce qu’on fait. Mais les personnes en cuisine ne font pas de service. Et notre employée au service porte des gants en tout temps quand elle manipule les chocolats.»     

  

Michaël Bardier, cofondateur d’Heavy Trip et agent de spectacle       

Dans son quotidien, Michaël a l’habitude de «gosser» des festivals afin qu’ils achètent les performances des artistes qu’il représente.       

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Roxanne Lemieux
Michaël Bardier

Mais depuis une semaine, ses journées se résument plutôt à gérer des crises. «Jeudi, j’ai passé ma journée à repousser des billets d’avion à plus tard, en me disant que j’allais sûrement devoir les repousser encore dans quelques semaines, voire les annuler.»     

Il ne s’en cache pas, les récentes annonces d’annulation de nombreux festivals et de tournées, notamment aux États-Unis et en Europe, ont fait mal. «C’est dur à évaluer pour l’instant, en raison de la rapidité à laquelle ça s’est fait, mais je dirais que les pertes associées aux shows annulés [près de 75] jusqu’à maintenant s'élèvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars». 

Joël Lemay / Agence QMI
Alaclair Ensemble, l'un des nombreux groupes représentés par Heavy Trip ayant dû annuler des représentations qui devaient avoir lieu au cours des prochaines semaines.

     

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«Si ça traîne jusqu’en juillet, ça va commencer à être pas mal critique, disons, confie-t-il. On n’arrêtera pas nos opérations pour autant, mais on va en manger une shot.»    

Le futur est difficile à prévoir pour l’entrepreneur. «On va se plier aux recommandations des autorités. Outre le fait que ça soit dommageable pour nos économies, il y a aussi un devoir citoyen à respecter pour que tout rentre dans l’ordre le plus vite possible.» 

  

Roxane Paquet, photographe professionnelle depuis 12 ans      

Il y a trois jours, la vie de Roxane a pris un virage inattendu. «Les mois de janvier et février sont toujours plus tranquilles, dans cette industrie. Généralement, au mois de mars, je recommence à avoir quelques contrats par semaine, donc je peux desserrer la ceinture, mais, avec les derniers jours, tout a changé.»     

Crédit Facebook Roxane Paquet Photographe
Roxane Paquet

Mardi dernier, la photographe avait été «bookée» pour un événement devant avoir lieu jeudi. Mercredi midi, cet événement a été annulé. «Après ça, les courriels d’annulation ont déboulé un après l’autre. Là, j’ai su que ça ne serait pas drôle.»     

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Misant sur l’événementiel, les contrats «corpos» et les portraits, Roxane est tombée sans travail pour les deux prochains mois. Des milliers de dollars jamais reçus, estime-t-elle. «Je ne suis pas quelqu’un qui a de super gros revenus à la base, donc, si je manque six ou sept mois de job, ça va faire vraiment mal.»    

L’entrepreneure admet qu’elle n’avait pas de somme d’urgence accumulée en cas de crise semblable. Elle en tire d’ailleurs une leçon importante. «Je suis une artiste, je ne suis pas la personne la plus rigoureuse en termes de finances personnelles. Je réalise que je devrai faire plus attention à l’avenir si je ne veux pas que ça m’arrive encore.» 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les prochaines semaines s’annoncent incertaines pour la photographe. «J’envisage peut-être de m'inscrire à Uber Eats pour me faire un peu d’argent. Sinon, je vais essayer de mettre de l’avant ma banque d’images, afin que de potentiels clients en achètent quelques-unes, et offrir des portraits “corpos” au rabais, juste pour pouvoir colmater les trous dans mon compte.»      

Roxane demeure tout de même optimiste. «Je suis quelqu’un de débrouillard et j’ai plein d’idées. Je vais être capable de passer à travers ça!»

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